Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Bernard Ambielle

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Notre-Dame de Paris, 2019
Huile sur toile - 100 x 81 cm



   

    Bernard Ambielle avait en chantier un tableau qui devait représenter les quais de la Seine, riches en histoires, avec les «ruches» des bouquinistes alignées sur les anciens parapets: « un des détails les plus émouvants de Paris, que cette longue enfilade de boîtes cadenassées où le bon grain de la librairie se mêle librement à l’ivraie.» (1) Avec, en arrière-plan, l’Ile de la Cité, le cœur même de Paris, dominée par la haute protection de Notre-Dame.

    Mais, l’apocalyptique incendie du 15 avril 2019 a détourné son attention de cette rêverie insouciante, de ce spectacle des quais qui apparaît comme le symbole de l’invitation à la sérénité. L’idée de rendre hommage à Notre-Dame, peut-être mortellement blessée, s’est donc tout naturellement imposée à lui, manifester son optimisme quant à l’avenir de ce chef d’œuvre, le plus prestigieux de l’art gothique, adresser un message d’espoir à tous ceux qui sont sensibles à la survie de notre patrimoine.

    La cathédrale, posée sur son île, est désormais au centre du tableau. Imposante, elle est cependant parfaitement intégrée dans l’écrin de la Cité, en communion avec les hommes. Chaque tour répète les verticales et la harpe de la lettre  H majuscule. On pense soudain à Victor Hugo (2) L’agencement des vides et des pleins de leurs lignes droites, créateurs d’ombres et de lumières, leur donne le relief. Contrairement à ce que nous suggère le premier regard, Notre-Dame n’est pas traitée exactement en deux dimensions puisque le toit de la nef surmonté de la flèche se veut en perspective.

    «Le style dit –naïf- autorise une grande liberté de composition dont je ne me prive pas. Les perspectives en profitent aussi» Ouverte et profonde, comme c’est le cas ici, la perspective permet au perfectionniste qu’est Bernard Ambielle, une précision minutieuse jusqu’aux plus lointains éléments. Elle se perd dans un ciel uni de point du jour, animé d’une chaude lumière qui se diffuse en aval sur la Seine.

    La flèche de Viollet-le-Duc, principale victime de l’incendie dévastateur, fuse vers le ciel. Sa couleur sombre dont l’artiste s’est efforcé de respecter le caractère, accentue sa présence, la met en exergue, comme un Christ en croix…Elle domine les statues vert de gris des douze apôtres et des emblèmes des évangélistes dont on distingue les formes.

    «Contrairement à mon regretté ami, Mario Tapia, qui avait le génie de construire une œuvre sans aucune esquisse préalable, j’ai besoin moi, de tout situer avec précision.» D’où ces croquis d’une rigueur de trait digne d’un architecte…Car il ne s’agit pas d’une seule  et même esquisse, étape première de l’œuvre. Tous les éléments sont décalqués au fur et à mesure de l’avancement du tableau, en particulier les personnages.

    La base aérographe concerne chaque élément architectural de la scène urbaine, sans exception. Ils sont identifiables par leur forme et leur fond coloré. Bernard Ambielle anticipe sur les effets lumineux désirés et imprime, au pochoir, sur les surfaces adéquates, de délicats motifs de dentelle. L’ensemble est remarquable par sa fraîcheur et une certaine force des couleurs que le travail de finition exploitera admirablement en lui donnant vie, grâce à un graphisme discret, d’une finesse inouïe.

    Minutie et souci du détail ne veulent pas dire respect absolu de l’authentique. «Je ne cherche pas à faire une reconstruction historique à tout prix. C’est la composition qui commande». Par exemple, si le pont Saint-Louis qui prolonge celui de l’Archevêché risque de surcharger ou de déséquilibrer, et, au final, de rompre l’harmonie, il est supprimé. La petite église d’allure romane avec son clocher-peigne et la chapelle au gable troué de meurtrières qui encadrent humblement la majestueuse cathédrale sont-elles anachroniques? Bernard Ambielle ne s’en soucie pas davantage: «Tel bâtiment n’existait plus à cette époque ou n’existait pas encore, mais il peut être nécessaire à l’équilibre de l’ensemble. Un  tableau, à mes yeux, c’est, avant tout, un équilibre de lignes et de masses et la représentation figurative doit d’adapter à ces exigences». Le voisinage des couleurs paisiblement accordées, les quelques touches automnales associées aux espaces verts judicieusement réparties confèrent à cette œuvre majeure une cohérence évidente à nos yeux.

    Ce qui compte, c’est l’atmosphère poétique et idéalisée que je cherche à traduire. Celle d’une époque qui est souvent associée  «au bon vieux temps», mais qui, bien sûr, n’a rien à voir avec la réalité historique

    L’époque choisie est révélée par les personnages qui animent le parvis et le quai de la Seine, par les omnibus à chevaux, les voitures à bras des marchands de quatre saisons, les calèches et autres phaétons. Nous sommes dans le dix-neuvième siècle finissant. Le parvis est dégagé, Haussmann est passé par là; les parisiennes, au bras de leur dandy à gibus, arborent les lignes sinueuses de leur silhouette amincie; falbalas et ombrelles ajoutent beaucoup à leur élégance… Là également, l’artiste garde une part de liberté: «Je situe la plupart de mes tableaux vers cette époque mais sans aucune préoccupation vestimentaire, certains habillements peuvent dater de la «Belle Epoque», voire des années 50. J’aime introduire des personnages de films, mon favori étant «mon Oncle» de Jacques Tati, mais aussi, «Les Temps Modernes» de Charlie Chaplin.»

 

    Cette évocation du cœur de Paris, à l’unisson de Notre-Dame ressuscitée à l’identique, est un enchantement, sans fin car notre attention est, tour à tour, attirée et retenue par une infinité de scènes anecdotiques attendrissantes, une infinité d’harmonies de formes et de couleurs que nous offre la sensibilité à la beauté et à la vie qui distingue Bernard Ambielle.

Tout est vrai… et pourtant rien n’est réel

Tout est rêve, propice à l’émerveillement.

 

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(1) Pierre Mac Orlan – Paris tel qu’on l’aime – Editions Odé - 1949

(2) Patrick Grainville – Les anges et les faucons – Ed du Seuil – 2019







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Détail: Scènes anecdotiques

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Détail: Harmonies de formes et de couleurs


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Esquisse de la flèche, crayon


Bernard Ambielle 26c.jpgBase Aérographe






 
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