Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

L'Echappée

Tean-Jacques Helwig

Jean Jacques Helwig 08c.jpg
80 x 80 cm - 2015


    La perplexité devant un tableau est chose courante. Du moins, au premier regard… Il traite d’un sujet dont on ignore tout. L’identité des personnages, le sens de la scène représentée, la raison d’être du décor, tout participe du mystère. «Peut-être, l’énigme d’une subtile iconographie subsiste-t-elle? Mais alors, à un niveau stimulant pour l’intellect, problématique au sens positif du terme.» (Ch. Barbe Gall) L’important, c’est l’itinéraire. Le terme, au fond, est secondaire. «Il n’est en Art qu’une chose qui vaille, celle qu’on ne peut expliquer» dit Georges Braque.

    Alors qu’une nature morte a, en général, une cohérence, un sens affiché: «nature morte au citron»… la variété des objets en présence dans cette composition de Jean-Jacques Helwig, est hétéroclite et donc surprenante. Et c’est tant mieux car«L’Art est fait pour troubler» dit encore Braque… Prenons notre temps et faisons l’inventaire des acteurs de cette scène allégorique, en portant notre attention à leurs origines que l’auteur a bien voulu me confier.

    La voûte d’arêtes de style roman retravaillée et surbaissée aux épaisses nervures qui forment une croix dont le centre est la clef de voûte, provient du porche de la Prévôté (1649), photographié à la Roche en Régnier près du Puy-en Velay.

    La statue, photographiée au Musée des Moulages, la gypsothèque de Strasbourg, située dans le palais Universitaire, représente la Vénus de l’Esquilin dont l’original datant du 1er siècle av. J-C, est conservé au Musée du Capitole à Rome. Le moulage a été réalisé au XIXème siècle dans l’atelier de Leopoldo Malpieri.

    Le banc appartient à l’Hostal de San Marcos (XVIème siècle) à Leon en Espagne. Installé dans le cloître, il accueillait les notables de l’ordre militaire de Saint Jacques de Compostelle.

    Les livres anciens ont été photographiés dans la librairie «Ivre de Livres», tenue par un ami, Rue Geiler à Strasbourg.

    L’horloge est accrochée au Musée de l’horlogerie du château de Bruchtal en Allemagne.

    L’aigle et le ciel ont été photographiés dans le Parc National de Monfragüe en Estremadure.

    Le pot, un, parmi tant d’autres photographiés par l’artiste, la couverture et les lunettes, seuls objets personnels, terminent la liste.

    Par quels cheminements de la pensée Jean-Jacques Helwig a-t-il mis en relation des éléments venus d’horizons si éloignés, appartenant à des registres si différents?

    La composition était initialement amorcée par l’envie qu’avait Jean-Jacques Helwig de mettre en scène le porche de la Prévôté dont la rusticité romane, aux claveaux de calcaire grossièrement appareillés, contraste violemment avec la Vénus de l’Esquilin dont le prestigieux marbre de Paros exalte la perfection de l’art gréco-romain. Sa position de cariatide suggère l’idée d’universalité de l’art, c’est-à-dire, de synergie entre architecture et statuaire, entre structure et ornement.

    En fait, nous explique Jean-Jacques Helwig: «J’ai travaillé chacune des parties pour tenter d’exacerber cette sensation à la fois poétique, énigmatique et douloureuse de l’action du temps». Dégradation, mutilation…mais, sublimation.

    Puis, sa composition a évolué de façon intuitive «sans scénario préconçu».L’horloge, premier élément ajouté, fait évidemment écho aux outrages du temps. La réflexion sur le temps et cet environnement de vieilles pierres, incitent à la méditation, d’où ce banc à la patine vénérable, qui accueillait, il y a un instant encore, un lecteur-chercheur, apparemment insatiable, allant d’un livre à l’autre dans sa soif de connaissances scientifiques, littéraires , métaphysiques…Son absence a-t-elle une raison? Elle nous est manifestement donnée par le titre: «L’Echappée». L’esprit du lecteur, symbolisé par l’aigle, s’envole, abandonnant la dépendance intellectuelle pour chercher, dans la nature, sa propre vérité.

    Vénus, gardienne forcée du temple, dont la tête penchée vers un livre ouvert à portée de regard, semble s’impliquer dans l’intrigue. Déesse de l’amour, elle sait qu’elle seule possède la réponse à tous les questionnements. Par l’amour, justement... Et qu’importe si elle ne peut tourner les pages…

    Le charmant désordre de cette composition n’est qu’apparent. Au regard attentif se révèle une diagonale ascendante qui, passe par les lunettes posées sur un livre, la couverture rouge, le livre ouvert, la tête de Vénus et l’aigle dans le ciel. Elle est voulue. Non seulement elle organise l’image, mais elle constitue également une piste de réflexion susceptible de délivrer le message contenu dans cette façon de rébus.

    Jean-Jacques Helwig n’impose aucune explication. Il a, au contraire, voulu rester énigmatique, «pour que chacun puisse se faire sa propre idée et que tout cela n’est qu’une piste parmi d’autres. Une invitation au rêve en quelque sorte…»

 

    Le thème du savoir, du questionnement, J.-J. Helwig l’a déjà évoqué dans deux tableaux réalisés cette même année 2015, peu de temps auparavant: «Ivre de livres» et «Vol au Crépuscule». «Dans ce dernier, nous révèle J.-J. Helwig, j’évoquais le mythe de la chouette volant au crépuscule, symbole de sagesse dans la mythologie grecque. En effet, ce serait une lumière interne qui lui permettait de voir la nuit. Elle était l’animal favori d’Athéna, déesse de la sagesse. Dans «Ivre de Livres», j’ai voulu exprimer la vanité du savoir avec cet homme accroupi dans un amoncellement de livres, dirigeant son index vers le bord inférieur droit du tableau, où l’on distingue un crâne»…

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Vol au crépuscule, 2015
80 x 80 cm



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Ivre de livres, 2015
80 x 80 cm (Collection)






 
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