Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Léo Schnug
 

Lansquenets sur la route




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Aquarelle sur papier - 1907

(57x36,5cm)

Collection: Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg

© Musées de Strasbourg

    

    

    « Schnug, dessinateur et peintre de la chose militaire. Tout au long de sa carrière et, encore le temps de l’effondrement, il voue son talent à dessiner des soldats etencore des soldats», symboles de force brutale, «anges du crime et de la mort» (1) imposants, fiers, héraldiques, dans leur uniforme, redoutables dans leur armement, instruments du Pouvoir…

    C’est la version officielle, populaire du soldat, image d’Epinal, lancée à l’époque napoléonienne et en vogue grandissante durant le XIXème siècle, jusqu’aux années fatales de 14-18. Image conforme à l’esprit du temps, irrémédiablement conflictuel.

    Or, voici l’antithèse de cette idéologie «bienpensante». Voici un tableau qui nous montre ce qu’il y a derrière le décorum, la face cachée de l’idéologie convenue. Ici, plus de lansquenets triomphants, inquiétants, prêts au combat, cuirassés, équipés de pied en cap, l’allure invincible…Ce tableau est un dévoilement. Dévoilement de la condition du soldat telle qu’elle s’impose réellement  en dehors des faits d’armes, en dehors des brèves exaltations épiques, celle qui s’inscrit dans la durée, condition misérable, faite d’errance, de lassitude, de désolation. Hiérarchie et commandement ont été abandonnés en route, à regret peut-être car, abandonnés, laissés à leur triste sort, les lansquenets ne sont pas sur le chemin de la liberté, mais sur celui de la fatalité de leur condition.

    Nous sommes en 1907, Léo Schnug est en pleine possession de ses moyens, son talent est éclatant, il touche au sommet de sa renommée. L’alcool est, pour le moment, un compagnon débonnaire. Schnug est lucide. Or, cette lucidité n’est-elle pas la clé de ce tableau? Rompant avec la tyrannie de l’habitude, il semble, en l’occurrence, s’efforcer de réfléchir par lui-même et regarder en face la réalité désacralisée de la vie du lansquenet, le Landsknecht (valet de campagne), synonyme de servitude, mercenaire recruté surtout dans les pays germanophones et notamment par Maximilien 1er de Habsbourg, cher au père de Léo Schnug…

    Dans une composition exceptionnellement élaborée, Schnug fait évoluer ses personnages dans un paysage soigneusement étudié, un espace ouvert sur un horizon lointain. La palette est réduite, froide, le lieu est inhospitalier, loin de toute vie, délibérément en cohérence avec le drame humain, sujet de cette oeuvre. La lassitude des hommes se communique au décor végétal qu’ils traversent, dont tous les mouvements vont dans le sens de l’effondrement, de l’accablement, sous le poids de la pluie et, peut-être du froid. Seules deux ou trois ombellifères aux couleurs incertaines de fleurs fanées se dressent vers le ciel.

    Ils avancent du même pas lent, tête baissée sous la bourrasque dans leurs mantes en haillons et leurs braies ruisselantes. Schnug leur a ôté leur uniforme rutilant, arrogant, copié sur les confédérés suisses. Leur équipement disparate, incomplet paraît bigrement dérisoire s’il fallait se défendre. La canne semble plus utile que l’épée ou la hallebarde, la gourde, davantage que l’armet.

    Tout concourt à un sentiment de renoncement. Renoncement à cette vie d’aventures faite de pillages et d’exactions qui était probablement la leur. Ils n’ont en commun que le chemin boueux qu’ils suivent, mais chacun pour soi, perdus dans leurs sombres méditations.

    Léo Schnug ne les laisse pas s’éloigner sans se manifester à eux; ils ne lui sont pas indifférents. Aucun mépris ne l’affecte…En effet, il a suscité un regard qui le fixe, celui d’une femme dont la présence ne doit pas nous étonner puisque femmes et enfants peuplaient les convois en campagne. Que lisons-nous dans ce regard qui interpelle l’artiste? Le reproche d’exhiber les lansquenets dans leur déchéance ou la reconnaissance de les révéler, enfin, sous leur vrai jour? Et d’associer leur précarité à celle du calvaire qui menace de s’écrouler sur leur passage? De comparer la misère des hommes au sacrifice de Dieu? De confondre leur chemin de croix?

 

 

          La singularité de ce tableau dans l’œuvre de Léo Schnug tient au fait qu’en lui seul s’exprime la synthèse des qualités techniques de son art  et des valeurs effectives de son humanisme, si rarement sensible.



(1) Jean-Paul SORG – Un artiste intempestif – bf Editions, 1997



                                                                                           
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