Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Lutz Binaepfel

(1893-1972) 



Une étude comparative

Lutz Binaepfel
Nature morte aux raisins, vers 1937 – Huile sur toile - Collection particulière
© Imprex Haguenau


Lutz Binaepfel
Maternité, vers 1966 – Huile sur toile - Collection particulière
© Imprex Haguenau
   

    

   

    Certes, Lutz Binaepfel n’est pas un être figé. Non seulement, sa peinture évolue au fil du temps, au gré de sa maturation culturelle, enrichie par de longues années d’expériences, mais également en fonction de ses motivations. En effet, ses dispositions d’esprit ne sont pas les mêmes selon qu’il travaille sur un motif matériel et sur un sujet humain.


    Dans la «Nature morte aux Raisins», Lutz Binaepfel revient manifestement à une conception impressionniste. Et Hélène Braeuner avait bien raison de l’inviter parmi les peintres de son choix dans son magnifique ouvrage: «Les peintres et l’Alsace, autour de l’impressionnisme». N’oublions pas que Lutz Binaepfel a étudié à fond Utrillo alors qu’il vivait à Paris, entre 1922 et 1940

    Chaque élément, parfaitement identifiable, est à sa place. Le vase bleu a cependant le mérite de se tenir bien droit dans cette composition aux assises aléatoires et à la perspective nullement académique, souvent contrariée par des aplats qui mettent de l’ambigüité dans la succession des plans. Le fond, décor informel, est rythmé selon des mouvements ascensionnels qui allègent l’ensemble, mais aussi par des échappées en profondeur dans les différentes nuances de vert.

    Les formes sont respectées et, par conséquent, la nature elle-même. Dans ce tableau, Lutz Binaepfel traque la lumière, cette lumière qui crée les formes, décide d’elles et les façonne. Par ailleurs, il est sensible à l’harmonie des couleurs, particulièrement sur les pommes disposées dans leur compotier. Couleurs génératrices de lumière dans un jeu de contrastes qui ne les met pas en opposition mais les marie durablement…, en bonne entente.

    Ici, le peintre se révèle à nous comme un coloriste gai, d’accord avec la nature. Par conséquent, on peut affirmer qu’il a le souci de l’esthétique. Il devient séducteur. Nous sommes en définitive, loin des concepts de l’expressionnisme radical et même de l’expressionnisme tout court. Oubliées, les préoccupations existentielles et métaphysiques. Tout intellectualisme est évacué. Lutz Binaepfel a cherché là un instant de délassement. Il ouvre grand une fenêtre récréative sur la spontanéité, la sérénité.



    La famille est un des thèmes de prédilection de Lutz Binaepfel. En 1920, déjà, il avait ajouté à sa mémorable exposition de 1920 une «Mère et bébé» qui apporta d’ailleurs une note de douceur à la véhémence de l’ensemble…Avec «Maternité, 1966», nous retrouvons la texture expressionniste qui caractérise Binaepfel, texture «rupestre», comme dit A. Andrès, à force d’être travaillée et retravaillée; sachant que l’artiste a la réputation de ne considérer ses toiles comme terminées qu’après des années…

    On est avant tout surpris par le choix des couleurs, pour le moins anticonformistes, inhabituelles à la figure humaine; mis à part le rouge des lèvres et le brun – roux des cheveux. C’est à peine si la joue du bébé reçoit la caresse d’un rose qui sied à son âge tendre…Têtes, épaules, bras, bonnet, sont délimités par des cernes épais; lignes bleues ou oranges hésitantes, approximatives. Cheveux, peaux textiles suggérés par des segments plus ou moins rectilignes, pour la plupart verticaux, constituent une texture brouillonne qui fait fi du modelé, qui ne couvre pas tout l’espace et laisse apparaître des oublis, zones vierges de la toile et qui ne fait absolument pas appel au talent. En particulier sur l’habit du bébé difficilement identifiable.

    Les couleurs acides de ce tableau sont antinomiques de l’atmosphère de, tendresse qui émane de la scène et qui est clairement énoncée par le geste protecteur de la mère. Elle enserre l’enfant et semble vouloir le mettre à l’abri de tout danger extérieur. Ce geste fait-il référence à une situation particulière? Ne célèbre-t-il pas plutôt l’amour maternel immuable, universel? Ou est-il l’évocation de la fragilité de la vie?

    Au sourire de la maman, vecteur du message d’amour, s’oppose la placidité du visage du bébé. C’était déjà le cas de l’enfant du tableau de 1920. Or un portrait d’enfant devrait avant tout être gai et charmant. Il n’en est rien dans aucun de ceux que Lutz Binaepfel a produits. Ce qui semble attester la difficulté de l’artiste à entrer dans le domaine de l’enfance comme le suggère Pierre-Louis Chrétien. Il est en cela comparable à Kokochka . Comme lui, il refuse de se contenter du joli côté des choses. «Il n’a pas recours au répertoire traditionnel du dessin académique, mais ses «incorrections» mêmes rapprochent son œuvre de la vie» (Ernst Gombrich)

    C’est que Binaepfel obéit, ici, à ses propres lois et se libère des liens de la réalité. Le dessin est sacrifié à la couleur et la forme au rythme…


    Evidemment, ces deux œuvres sont bien différentes l’une de l’autre. Si d’un côté Lutz Bianepfel a quelque chose à montrer, de l’autre, il a quelque chose à dire. Si d’un côté nous sommes portés à l’analyse visuelle de la nature éternelle, toujours renaissante, de l’autre nous sommes conviés à faire une synthèse intellectuelle, à une prise de conscience de la complexité et de la fragilité de la vie humaine

 

La preuve est faite que pour Lutz Binaepfel, chaque tableau est avant tout un état d’âme.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Lutz Binaepfel


 
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