Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

René Kuder

(1882-1962) 



Les Faucheurs
1929 - Aquarelle (56 x 76 cm)

« Une rudesse d’accent du plus beau caractère, un motif de plein air de la plus riche saveur… » (Th Sisson)


René Kuder
   

    

    Cette œuvre est représentative de la virtuosité de René Kuder dans la technique si difficile de l’aquarelle qu’il transcende et par laquelle il traduit, avec un talent incomparable, des effets inattendus.

    La composition est surprenante quant à l’activité décrite: la position des faucheurs, les uns par rapport aux autres, semble dangereusement désordonnée. D’habitude, les faucheurs laissent derrière eux des andains rigoureusement alignés comme le donne à voir, par exemple, Lucien Blumer avec sa scène de fenaison dans les prés de Bourgheim, où quatre faucheurs, comme ici, sont disposés en «échelon refusé» afin de ne laisser aucune place non traitée, selon Roland Oberlé…

    Mais, au-delà de ces considérations techniques, l’organisation de ce tableau peut s’expliquer par l’effet que René Kuder veut produire sur le spectateur: lui faire oublier qu’il est dans un musée, devant un rectangle de toile peinte, mais qu’il est bel et bien dans l’action, le cinquième faucheur, la faux dans les mains…Dans ce but, il campe au premier plan un personnage, acteur d’une impressionnante monumentalité: sa tête et son pied gauche débordent du cadre du tableau ce qui renforce la proximité, la rend immédiate. Nous sommes «dans» le tableau…

    Par ailleurs, René Kuder a disposé ses faucheurs de façon à guider notre œil selon les lignes de force adoptées, qui d’une part dynamisent la scène, c’est la disposition en éventail vers le haut de trois personnages, effet renforcé par une prise de vue en contre-plongée. D’autre part, ces lignes de force établissent une répartition équilibrée, quasi symétrique des sujets dans l’espace, c’est le triangle que forment leurs têtes. Enfin, l’artiste nous sensibilise à la profondeur de champ, à partir des deux têtes situées à droite du tableau qui entraînent notre regard vers l’horizon matérialisé par un discret dôme légèrement bleuté.

            René Kuder a su donner à cette mise en scène une puissance spatiale extraordinaire. Il a su donner de la grandeur à un espace déjà grand…grâce à une rupture d’échelle frappante, audacieuse, entre les hommes et la nature. Il y a là, sans doute, une intention : l’homme domine la nature grâce à son labeur, par volonté, mais aussi par nécessité. C’est la sanctification du travail, du dynamisme de l’homme. Par là, nous reconnaissons à cette œuvre, une puissance narrative très forte. Ce tableau en dit plus long qu’un long discours…D’autant plus que la scène est vivante, animée, par la faculté prodigieuse qu’a René Kuder de traduire le mouvement grâce à un dessin sûr et rythmé, celui des bras, des drapés, des faux au trait précis et appuyé. Répétons-le, avec Stéphanie et Marie-France, ses filles, «…René Kuder est le peintre du mouvement. Il a le sens du trait. Son crayon attrape au vol l’instant où se concentre l’élan du geste, instant fugitif où se précise le passage de ce qui n’est plus à ce qui va commencer.» Or, comme dit Aloyse Andrès, quiconque s’occupe de la question de l’esthétique du dessinateur sait que l’objectivation d’un mouvement est un des grands mystères de l’art!...

            Surprenante aussi, ou plutôt singulière est la texture, la touche  du maître qui lui est personnelle, qui est inimitable et qui le distingue de tous ses pairs. Il s’agit, en l’occurrence, de prendre en compte la texture figurée qui se révèle seulement à la distance nécessaire à la contemplation. Elle est constituée de la palette du peintre et de sa technique d’aquarelliste.

            La palette de René Kuder est réputée restreinte. Marc Lenossos, critique d’art, compte une dizaine de couleurs, parmi lesquelles, Henri Lefebvre, éditeur d’art, a remarqué un incomparable gris bleuté «qu’il faudrait, un jour, appeler le gris Kuder.»

Ses couleurs claires et lumineuses, comme il les qualifie lui-même, lui sont offertes par la peinture en plein air, tant affectionnée. Dans l’œuvre qui nous intéresse, ce sont les tons rompus, assourdis, mélancoliques qui dominent. René Kuder y affirme un sens inné de la nuance, des demi-tons. Tout est dans la retenue, dans l’intériorité. «Les valeurs courantes du beau ne suffisent plus pour apprécier cette œuvre.» dit très justement Aloïse Andrès

            Quant à Kobert Kuven qui a voué une admiration sans bornes au grand aquarelliste, il met en exergue une conception inédite de la scène de genre en ce sens que René Kuder «fut un homme de synthèse, le lieu ou l’objet qui l’intéressait, formait un tout avec son environnement, il était «indétachable», l’être humain lui-même était attaché de manière indissociable au cadre naturel en lequel il se trouvait, il n’en était qu’une partie intégrante.» C’est bien ce que l’on constate dans «Les Faucheurs» qui est une des œuvres majeures du maître de Villé, œuvre à laquelle s’applique parfaitement l’hommage de Marc Lenossos que voici:«une symphonie riche mais discrète, chante la poésie agreste d’une contrée.»

                                                                                                                                                                                                                                                                                                      René Kuder


Sources:

- Julien Freund – René Kuder, images et témoignages – Saisons d’Alsace N°17, 1965

- Roland Oberlé – Lucien Blumer, un maître de l’Impressionnisme – Editions Hirlé - 2010





«Un tableau n’a pas à être vrai, mais beau et il n’est beau que s’il révèle quelque chose de caractéristique et de typique, profondément vécu par l’artiste.» (Julien Freund)

 

            C’est le cas pour les faucheurs de René Kuder comme pour ceux de Lucien Blumer, dans des styles bien différents.


                                 
Lucien Blumer¨
Scène de fenaison dans les prés vers Bourgheim – Huile sur toile

© Editions Hirlé




                 

Lucien Blumer

Scène de fenaison – Huile sur toile

© Editions Hirlé

 
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