Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Brunck de Freundeck

 


" Le Château Intérieur "

Dessin à la plume, 1936-37


Richard Brunck de Freundeck 19
Photo: F. Walgenwitz

 

    Thérèse d’Avila (1515-1582), réformatrice du Carmel, est un des grands maîtres de la spiritualité chrétienne. Le «Château Intérieur», rédigé en 1577 est publié en 1598.

    Le château est l’âme; la porte d’entrée est l’oraison. L’oraison est, dans le recueillement, le chemin qui mène à la grâce, à l’union avec Dieu. Cet aboutissement où «l‘on éprouve un sentiment si vif qu’on en perd le sens» (*) a été traduit par le sculpteur Bernini, le Bernin (1598-1680) dans la célèbre et très baroque «Extase de Sainte-Thérèse» Elle illustre un épisode de l’autobiographie de Thérèse «où un ange du Seigneur a transpercé son cœur d’une ardente flèche d’or, la remplissant à la fois de douleur et d’une félicité ineffable. C’est cet instant précis que le Bernin, avec une extraordinaire audace, a voulu représenter. La sainte est emportée vers les cieux, étendue sur un nuage; elle monte vers des flots de lumière matérialisés par des rayons d’or. Un ange plein de mansuétude assiste la sainte qui défaille en extase.»(***)

Richard Brunck de Freundeck 25

    Brunck, lui, se place bien au-dessus de la théâtralité pathétique du baroque. Il est en communion étroite avec Sainte-Thérèse. Pour lui, l’aboutissement, tel qu’il le ressent, est la paix intérieure, bienheureuse que la sainte éprouve dans la 7ème demeure, là où plus rien ne s’oppose à la quiétude de l’âme.

    Pourtant, «rien ne se prête moins à l’illustration que les épanchements passionnés de la vierge castillane» dit Robert Heitz. C’est un texte de haute et abstraite contemplation que Brunck a illustré, «où une imagination qui joint ici la subtilité à la puissance est parvenue à transformer dans le langage des formes les élans les plus abstraits de l’amour dévot» ajoute Fr Porché. Brunck ne s’y est pas trompé quand il dit, à propos de son projet «J’évolue vers une œuvre qui a tendance à se spiritualiser de plus en plus.»

    Brunck a adopté une composition où toute matérialité se dissout dans une «fulguration de traits» (**) Par ces faisceaux d’énergie ascendants, il traduit l’irrésistible appel qu’évoque la sainte dans la 5ème Demeure où elle affirme que «lorsqu’on est arrivé aussi haut, il est impossible de cesser de grandir. Tâche d’aller toujours de l’avant…»

    Eléments architecturaux qui rappellent la cathédrale, éléments végétaux se rapportant au froment nourricier, drapés diaphanes sont à peine esquissés comme s’ils devaient être oubliés dans cette prière qui s’interdit d’être routinière car, alors, elle ne serait qu’une onde porteuse de distractions. Brunck, en cela, est fidèle à Sainte Thérèse qui insiste auprès de ses sœurs sur le fait qu’aucune image n’accompagne les faveurs divines: «Je désirerais trouver une comparaison qui éclaire un peu ce que je dis. Je crains qu’il n’y en ait pas de bonne. Je vois cependant de petits grains, de petits graviers qui suffiraient à nous faire grand tort si nous les accumulons.»

    Ces grains, ces graviers, Brunck les asservit, les soumets à sa volonté. En les alignant sur un axe, il les instrumentalise. N’est-ce pas là, le symbole de la persévérance qui répond à la nécessité exprimée par Thérèse, de nous mettre à l’épreuve? Le cercle, la sphère, éléments de base de la rythmique, elles-mêmes alignées, transpercées, contribuent à accentuer le vertige de l’ascension. A partir d’un point noir, «point d’évasion», se déclenche le «mouvement général» qui va de «dominante» à «dominante», c’est ainsi que Brunck appelle ses cercles, étapes du perfectionnement intérieur, symboles de l’harmonie progressive de l’esprit. Ils symbolisent la puissance de l’oraison qui fait triompher le blanc sur le noir dans cette dialectique des contraires. Blancheur qui va jusqu’à l’éblouissement et efface en partie la figure angélique, car elle va au-delà des apparences, car elle dépasse tout ce que conçoivent notre imagination et notre entendement.

     «On ne peut pas plus regarder cette vision qu’on ne peut regarder le soleil», dit Ste-Thérèse

    Ce tableau, illustration qui n’a jamais été gravée, prouve que Brunck de Freundeck a suivi au plus près l’expérience mystique de Sainte-Thérèse. Chacun de ses douze dessins correspond à une citation de l’ouvrage. Ici, il évoque à sa manière la transverbération de la sainte. «En appliquant sa discipline de style, il réussit (une) invraisemblable gageure».


                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Richard Brunck de Freundeck 26

Sources:

- Thérèse d’Avila (*) – Le Château de l’Ame ou le Livre des Demeures

- Collectif – Noir, blanc, gris…l’infini – Bibliothèque des Dominicaisn Colmar - 2012

- Robert Heitz (**) – Le graveur Richard Brunck de Freundeck – Editions Alsatia - 1948

- Ernst Gombrich (***) – Histoire de l’Art – Flammarion - 1992



 
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