Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr
                      

 

Sculpteurs Alsaciens
 

  

Jean-Baptiste, Albert, Jean-Jacques Erny
Trois générations de Sculpteurs

 

Jean-Baptiste Erny

(1875-1964)

 

 

Dynastie Erny 01c.jpg© Editions du Net, 2012
Collection privée

 


Dynastie Erny 02c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Jean-Baptiste Erny

Par Albert Erny

 

 

    Jean-Baptiste Erny a effectué son apprentissage à l’atelier Klem, rue du Moulin à Colmar. Après y avoir travaillé, vingt-sept ans, d’abord le grès, puis le bois; il était devenu chef d’atelier (contremaître) des ornemanistes.

    Sous la direction du maître, Théophile Klem (1849-1923), il a notamment participé à sculpter les têtes de la Maison des Têtes, non pas d’après des documents mais selon ses références personnelles. Elles figurent parmi les plus expressives. Il a aussi sculpté les chapiteaux de l’église St-Joseph de Colmar. Au convent d’Oelenberg, il a tout particulièrement exécuté le siège du Père Abbé. L’entreprise Klem était une vaste «tribu» dont les membres se retrouvaient volontiers. Jean-Baptiste Erny était très lié à ses collègues.

 

 

Dynastie Erny 03c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Maison des Têtes

Dynastie Erny 04c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Maison des Têtes

Dynastie Erny 05c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Maison des Têtes

 

 

    Klem et les «gothistes» colmariens étaient réputés «entichés» des idées du XIIIème siècle comme l’écrit le prélat Schikelé. Mais ils savaient parfaitement s’adapter au néo-renaissance, au néo-baroque ou au néo-roman-byzantin. «Celui-ci était particulièrement apprécié par l’empereur Guillaume II parce que cette manière renvoie à l’époque du Saint-Empire-Germanique et à son origine carolingienne et romaine.»(1) Aussi, savaient-ils entretenir l’illusion de se trouver devant une œuvre d’un autre temps.

Dynastie Erny 06c.jpgPhoto: Janine Erny

Les ateliers Klem vers 1910

Collection privée

 

 

    Les sculpteurs des ateliers Klem ont su acquérir assurance et dextérité dans ces domaines d’expression et leur empreinte personnelle est reconnaissable. Leur œuvre n’est pas figée, Théophile Klem a évolué vers la sobriété du bois teinté au détriment du polychrome, plus voyant, bien que maîtrisé par ses collaborateurs. Notons que les stalles de Saint-Martin de Colmar que nous leur devons, sont un véritable joyau de l’art gothique.

 

 

Dynastie Erny 07c.jpg© Editions du Net, 2012

Théophile Klem

Collection privée

 


Dynastie Erny 08c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Saint-Paul

Eglise St-Joseph de Colmar

 

 

    «L’aventure de l’atelier Klem se situe au terme d’une longue évolution de la société, comme à la fin d’un monde, écrit Jean-Jacques Erny. Les boiseries de Saint-Martin de Colmar et de la cathédrale de Metz sont un peu comme le «chant du cygne» de cette aventure».

    Au début du XXème siècle et notamment après la guerre de 14/18, les styles «néo» tombent en disgrâce. Les mentalités, les goûts changent. Le style sulpicien et l’académisme sont décriés. Les techniques évoluent.

    Cependant, Jean-Baptiste Erny reste très proche du style gothique  «avec un sens poussé du décor très élaboré et sa prédilection pour les thèmes anecdotiques.» Sa génération, héritière du gothique, lui est restée fidèle parce qu’il  est synonyme de société ordonnée, structurée, hiérarchisée…. «Ses sculptures, estime son petit-fils, Jean-Jacques, relevaient, je crois, de la décoration plus que de la statuaire. Dans ses œuvres, la feuille d’acanthe de style gothique côtoyait les animaux chimériques familiers de l’art médiéval.». La simplification, pour ne pas dire la révolution de l’Art Déco des années 1925, déroutent le grand-père Erny…

 

Dynastie Erny 09c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Dessin préparatoire 

Collection privée


Dynastie Erny 10c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Dessin préparatoire

Fonds baptismaux

Collection privée

 

 

    En 1939, la déclaration de la guerre, provoque un certain bouleversement: ses fils étant partis à la guerre, son épouse, sa fille, son gendre étant allés se réfugier dans le sud-ouest de la France, il reste seul (Hussmaischter) dans la maison familiale. D’autre part, dès cette année, son fils Albert, âgé de 33 ans, prend la relève en tant que chef d’atelier. Jean-Baptiste n’abandonne pas le sanctuaire pour autant…Il y vient régulièrement, donnant discrètement son avis. Il demeure la référence!...Son amour du métier le pousse, parfois, à proposer sa participation; par exemple, pour réaliser une sculpture sur le pressoir d’un caveau d’Eguisheim. Il avait alors 80 ans…

    Installé en 1915-16, son atelier a vraiment démarré après la guerre. Pourtant, l’horizon va s’assombrir assez vite. L’industrie de l’ameublement va détrôner la sculpture. Les années 1925 vont balayer tout ce qui était décor traditionnel. A partir des années 30, il faudra s’adapter, «faire du mobilier: des chaises à dossier sculpté, des lustres à gargouilles, inspirées de celles qui avaient été exécutées pour les églises, et des clés de tonneaux très travaillées pour les gens du vignoble. Grand-père [fera] aussi des bahuts Henri II – style issu de la Renaissance – de grande qualité, avec des dessins originaux.»

    La grande dépression des années 1929-31, la possibilité d’acheter des statues sur catalogue, les excès des minimalistes qui font du passé table rase, ont jalonné le déclin de la noble profession de sculpteur…Le chômage devenait considérable.

    Mais, témoigne Jean-Jacques Erny, «une évolution profonde s’est opérée. Nous avons appris à puiser à des sources multiples: le monde est désormais à notre porte avec des cultures que nous découvrons encore. Nous avons renoué avec les cadeaux de la nature: une belle pierre, un bois vivant, une douce laine. Nous savons aujourd’hui que la qualité d’un objet ne réside pas seulement dans son aspect mais aussi dans la réponse qu’il apporte à un besoin.»

 

 

 

 

Albert Erny

(1906-1999)


Dynastie Erny 11bc.jpgPhoto: J-J Erny

Albert Erny

Par Jean-Jacques Erny, plâtre

 

    Albert Erny, né en 1906, le 10 février, fait son apprentissage auprès de son père. Il suit volontiers les cours de dessin et de modelage de Mr Duchmann, un ancien de l’atelier Klem. En 1931, il se marie avec Odile Zimmermann. Trois enfants naissent de cette union: Jean-Jacques, Janine et Claude.

    En 1939, il prend la direction de l’atelier. Il travaille seul durant la guerre, mais, après 1945, il reprend des collaborateurs ayant ajouté une activité d’ébénisterie à celle de sculpteur comme le fit son père avant lui, face à la difficile conjoncture des années 30.

 

Dynastie Erny 12c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Le Tonnelier

 

 

Dynastie Erny 13c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Verrou de tonneau: les éclaireurs

Réf. biblique: avant l’arrivée en Terre Promise, Moïse envoie des éclaireurs. Ils rapportent de beaux fruits qu’ils ont trouvés dans leur future patrie


 

Dynastie Erny 14c.jpgPhoto: J-J Erny

Agriculteur

détail

 

 

Dynastie Erny 15c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Jumelage: Eguisheim avec une commune champenoise

 

 

    En tant que sculpteur, il travaille beaucoup pour les vignerons, sculptures statuaires, mais surtout, verrous de tonneaux, décors divers pour les caveaux, écussons…Une belle opportunité lui est offerte en 1954, quand un restaurateur alsacien établi à Paris le sollicite pour décorer sa brasserie: «L’Alsace aux Halles». Par la suite, il décore «Chez Jenny» situé près de la République et la «Taverne alsacienne», rue de Vaugirard. Trois établissements qui ont disparu depuis…Ce qui permet de soulever le problème de la pérennité des œuvres d’un sculpteur. «J’ai vécu la disparition de pièces pour lesquelles nous avions mis beaucoup de temps et fait de nombreuses recherches», déplore Jean-Jacques Erny. Chez «Jenny», il représente Colmar et ses hommes célèbres de Schongauer à Hansi, en passant par Grünewald…, les provinces françaises et un Bacchus particulièrement expressif, le tout exécuté avec une minutie remarquable. En Alsace, ce fut par la suite le restaurant «A l’Arbre vert» d’Ammerschwihr, le caveau d’Eguisheim et bien d’autres.

 

Dynastie Erny 16c.jpgPhoto: J-J Erny

Présentation de Colmar


Dynastie Erny 17c.jpgPhoto: J-J Erny

Schongauer


Dynastie Erny 18c.jpgPhoto: J-J Erny

Linteau de porte

 

Dynastie Erny 19c.jpgPhoto: DN

Bacchus

 

 

Dynastie Erny 20c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Panneau

Brasserie alsacienne à Paris: «L’Alsace aux Halles», 1954/55

 

 

    Il reçoit des commandes de bustes de personnalités régionales et locales qui sont sculptées en bois, coulées en bronze ou en plâtre

 

Dynastie Erny 21c.jpgPhoto: J-J Erny

Albert Erny au travail

Modelage du buste d’Albert Schweitzer

 

 

Dynastie Erny 22c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Albert Schweitzer

Bois

 

    Mais c’est dans l’Art sacré qu’il s’exprime le plus souvent. Le sacré, motivation première de l’Art. L’Art sacré, vision du monde transfiguré, du monde de l’esprit…Au fil des années, il réalise plusieurs dizaines de grandes statues: Christs, Vierges, divers saints. Vers 1950, il sculpte une vierge pour le pèlerinage des Trois Epis. Plus tard, les sollicitations venant de partout, il œuvre en Sarre, à Paris, à Marseille, etc…

 

 

Dynastie Erny 23c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Copie de la Vierge de Notre-Dame de Paris

Réalisée à l’âge de 17 ans

 

 

Dynastie Erny 24c.jpgPhoto: J.-J. Erny

La Vierge des Trois Epis

Réalisée vers 1950

 

 

Dynastie Erny 25c.jpgPhoto: J-J Erny

Vierge à l’Enfant

 

Dynastie Erny 26c.jpgPhoto: J-J Erny

Christ en Croix


Dynastie Erny 27c.jpgPhoto: J-J Erny

Saint Dominique

Sarreguemines


Dynastie Erny 28c.jpgPhoto: J-J Erny

Saint François

Strasbourg

 

    A partir de 1958, son fils Jean-Jacques collabore avec lui. Des projets dessinés par le fils, sont exécutés par le père. Telle cette Vierge présentant et offrant au Monde l’Enfant Jésus, d’une grande simplicité d’exécution, style parfaitement adapté à l’église de Burnhaupt-le-Haut, érigée en 1925, elle-même sobre et dépouillée. Le geste de Jésus, les bras en croix, est à la fois un appel et la préfiguration de la crucifixion. Malgré le caractère douloureux de cette évocation, les traits du rédempteur sont paisibles, sereins. Ce souci de la concordance avec l’environnement architectural et l’originalité de la mise en œuvre, sont deux marques essentielles de la conception  de l’Art sacré d’Albert et de Jean-Jacques.

 

Dynastie Erny 29c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Vierge présentant et offrant au monde l’Enfant Jésus

Eglise de Burnhaupt-le-Haut

 

 

    Ensemble, ils réalisent plusieurs Chemins de Croix, entreprises ô combien considérables qui, à travers les siècles et les contrées du monde chrétien se sont manifestées sous des aspects bien différents, notamment marquées par la dramatisation.

    Dans sa réalisation de Grussenheim et celle, commune aux deux sculpteurs, de Cossonay, près de Lausanne, Albert Erny fait en sorte que son Chemin de Croix ne soit pas la copie et l’imitation de mille autres. La représentation du Christ n’étant pas un portrait, «mais une vision de notre humanité idéale révélée par sa Parole, une image structurante qui nous modèle» (Dostoïevski). La Passion étant une remémoration qui ne saurait être une répétition, ni une reproduction, chaque station doit être, à la fois un objet esthétique et un objet habité, subjectivé.

    Albert a mis l’accent sur l’acceptation du Christ devant le sacrifice que lui a infligé la misère de l’homme. «Les attitudes de la figure du Christ dans toutes les stations du calvaire sont celles du Fils de Dieu qui humblement accepte la condamnation, la croix, les chutes, les actes de charité de ceux qui croisent la voie douloureuse.» (Article de presse) La souffrance n’est pas glorifiée et divinisée mais plutôt l’Amour qui la porte et la transforme. «Ma vie, on ne me la prend pas. C’est moi qui la donne» dit Jésus

    Le contemplateur, par l’évidente identification des protagonistes, est mis en osmose avec le sujet représenté afin que celui-ci  soit perceptible, sans détails inutiles sans fastidieux discours d’accompagnement, On regarde ces figures sculptées, mais ce sont elles qui nous regardent. Plus que des messages, ce sont des messagers.

     Attardons-nous enfin aux XIVème et XVème stations. Elles sortent délibérément de la tradition. La mise au tombeau est symbolisée par la descente du Christ aux limbes, un croissant presque fermé où Adam et Eve attendent la rédemption. La XVème, qu’Albert et Jean-Jacques considèrent, à raison, indispensable, montre le même décor; mais les cornes du croissant sont écartées. Adam et Eve se sont réveillés de leur torpeur et le Christ les enlève vers son Royaume. Message d’espoir. L’Humanité est rachetée!...

 

Dynastie Erny 30c.jpgPhoto: J-J Erny

XIVème Station

 

Dynastie Erny 31c.jpgPhoto: J-J Erny

XVème Station

 

 

    Albert Erny participe à de nombreuses expositions régionales et locales dans le cadre d’Associations comme les «Amis des Arts» ou le «Cercle des Arts». Constitué du «gratin» du monde culturel colmarien des années 50-60, le Cercle des Arts permet de mettre en lumière la richesse de la vie artistique locale. Les sculpteurs Albert Erny et Joseph Saur, un ancien de l’atelier Klem, figurent parmi les artistes qui ont marqué leur époque.

 

Dynastie Erny 32c.jpgPhoto: J-J Erny

Piéta inachevée

 

 

 

Jean-Jacques Erny

Dynastie Erny 33c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Jean-Jacques Erny, à l’oeuvre

 

 

    Pour Jean-Jacques Erny, né le 25 août 1932, fils et petit-fils de sculpteur, la voie était toute tracée, la tradition établie, un talent artistique allant de pair avec une vocation authentique.

     Parallèlement au cursus scolaire en vigueur, il suit des cours auprès de Paul Schwartz-Saile, artiste-peintre, ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts qui lui enseigne les bases du dessin. De 1951 à 1955, il fréquente la vénérable et prestigieuse Ecole Boulle, fondée en 1886 et qui demeure, aujourd’hui, une des plus grandes écoles d’art et de design d’Europe. Il y bénéficie de la formation dispensée par d’excellents maîtres, tant en dessin, en modelage, en histoire de l’art, qu’en pratique de l’ébénisterie. Il profite bien évidemment des immenses richesses des musées parisiens et goûte sans modération à la vie culturelle de la capitale, particulièrement dynamique à cette époque.

    Mais, c’est à Colmar, aux côtés de son père qu’il se forme aux subtilités de la sculpture et aux arcanes de l’artisanat d’art.

    En 1962, il épouse Marcelle Forrer. Ils eurent la joie d’accueillir cinq filles.

     A partir de 1958, et pendant une quinzaine d’années, il œuvre avec son père, Albert. Leur entente est parfaite. Les réalisations qui sortent de leurs mains, notamment les Chemins de Croix, sont d’une cohérence exemplaire. L’extraordinaire impression de pureté, de sobriété, de grandeur qui en émane, est le gage d’une connivence sans faille. Ensemble, ils apprécient la conjoncture favorable des 30 Glorieuses, qui, pour le père, est une revanche sur les années difficiles de 1930

 

Dynastie Erny 34c.jpgPhoto: J-J Erny

Vigneron aux vendanges


Dynastie Erny 35c.jpgPhoto: J-J Erny

Composition pour l’accueil en Alsace: Haut-Rhin

 

 

    En 1973, Albert transmet la gouge  à son fils. Mais Jean-Jacques n’est pas seul! Marcelle, son épouse qui avait depuis longtemps sacrifié son métier d’assistante sociale, s’occupe désormais de comptabilité, de secrétariat et de tout le travail administratif.

    Comme son père, Jean-Jacques se partage entre la pratique artistique de la sculpture et celle, artisanale de l’ébénisterie, indispensable pour rentabiliser l’entreprise. Mais, précise Jean-Jacques Erny: «Si l’ébénisterie représentait davantage en terme de chiffre d’affaires, la réalisation d’une statue implique un travail de recherche, de dessins préparatoires et de longues discussions…Et puis, on ne travaille pas en continu. La sculpture requiert une approche progressive. On s’arrête, puis on reprend, mécontent un jour de ce qu’on a fait la veille.»

 

 

Dynastie Erny 36c.jpgPhoto: J-J Erny

Christ en Croix

Eglise de Kingersheim

 

 

    La sculpture statuaire s’exerce surtout dans le domaine de l’art sacré. La vie religieuse évolue profondément en lien avec les mutations sociétales, mais également parce que Vatican II (1962-1965) est passé par là…L’objectif de cette réforme était de désencombrer le dogme de certaines pratiques superflues, de le nettoyer d’un certain folklore pour une participation plus effective aux célébrations. La langue vernaculaire rend la liturgie plus accessible. L’autel, dépouillé, fait face aux paroissiens, le curé est descendu de la chaire… «Les œuvres des artistes accompagnent ce mouvement. Pour le sculpteur, chaque œuvre témoigne de ce renouvellement», affirme Jean-Jacques Erny.

    Ainsi, la crèche sculptée dans le tilleul, en 1980, destinée à l’église de Habsheim, répond à cet état d’esprit: «Pas de folklore, pas de fioritures, pas d’attroupements de santons autour de l’Enfant Jésus. Je me suis limité à l’essentiel dans le dépouillement et la sobriété pour bien me situer dans la note actuelle de l’Eglise» La nativité destinée à Murbach, répond aux mêmes critères.

Dynastie Erny 37c.jpgPhoto: J-J Erny

Crèche de Habsheim


Dynastie Erny 38c.jpgPhoto: J-J Erny

Crèche de Habsheim

Les rois mages


Dynastie Erny 39c.jpgPhoto: J-J Erny

Nativité

Murbach

 

    Ainsi le Chemin de Croix installé dans la chapelle de l’hôpital de Moosch. Tout accessoire est supprimé. Il s’agit d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire au message, à l’idée personnelle que le sculpteur se fait de l’événement à représenter. Car le sujet sacré conduit immanquablement à la réflexion métaphysique. «J’aime que l’œuvre soit suffisamment lisible pour elle-même […] Je suis un peu prédicateur en cela.» Le Christ est rendu à sa solitude, le Christ mis en croix est entouré d’autres croix «cette station, je l’ai voulue traditionnelle comme la souffrance», le Christ mis au tombeau, raidi par les coups saccadés du burin est «semblable à la pierre» La XVème, nécessaire à l’esprit de l’œuvre, selon Jean-Jacques, comme elle l’était pour son père «enlève le Christ à l’élément minéral». La cohérence avec le cadre qui l’accueille, en l’occurrence l’ambiance calme, sereine, dépouillée de la chapelle moderne dont M. Erny ont eux-mêmes réalisé la décoration, est scrupuleusement respectée. Non seulement elle met l’œuvre en valeur, mais surtout, elle facilite la lecture du message. Comme l’icône, l’objet sculpté est une école du regard.

 

 

Dynastie Erny 40c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Chemin de Croix, IVème station

Chapelle de l’hôpital de Moosch

 

Dynastie Erny 41c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Chemin de Croix XIIème station

Chapelle de l’Hôpital de Moosch


Dynastie Erny 42c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Chemin de Croix XVème station

Chapelle de l’hôpital de Moosch

 

 

 

Dynastie Erny 43c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Chapelle de l’hôpital de Moosch

 

 

    Pour le sculpteur, chaque œuvre «a quelque chose à dire». Cela est certes vrai pour le sacré, le Verbe se faisant message. Mais, pour le profane également, qui doit susciter sentiment de beauté, émotion…Dans tous les cas, la domination du langage plastique ne doit pas étouffer l’expression sensible, la part de l’aventure créatrice. «On peut exercer la profession d’artisan comme une recherche, comme un art. Les deux formes ne s’excluent pas, elles cohabitent.»

    Selon la prédiction de Nietzsche, la vérité de l’œuvre d’art se trouve désormais dans l’artiste. Mais comment l’être humain pourrait-il tirer de lui-même, sans référence, à un dehors reconnu, plus important que lui, le matériau d’une grandeur moderne? Jean-Jacques Erny a souscrit à cette objection. «La double formation à l’Ecole et auprès de son père, la connaissance des anciens m'ont permis d’emprunter en diverses occasions des chemins personnels.»

    L’art est essentiel pour ce qu’il révèle. C’est aux sources de la culture qu’il trouve son inspiration, contrairement aux prétentions de l’idéologie de la «table rase», qui s’exprime de façon si répétitive dans l’avant-gardisme. Ainsi, c’est en puisant dans son patrimoine culturel que Jean-Jacques Erny a pu donner sens à sa crèche de Habsheim: «Les trois rois constituent un groupe brillant dont l’éclat contraste avec l’humilité du berger. Il y a là, comme il est dit dans un très vieux Noël, le roi d’Arabie, le roi de Saba et le roi d’Ethiopie. Des - étrangers étranges - selon le sculpteur, et qui incarnent la science, la puissance, mais aussi la sagesse». (Article de presse)

    Dans le cadre du 1% artistique que doit comporter tout projet de construction d’un bâtiment public, Jean-Jacques Erny a été plusieurs fois sollicité pour réaliser des éléments décoratifs. Ainsi pour l’école maternelle de Bergheim.


Dynastie Erny 44c.jpgPhoto: J-J Erny

Elément décoratif

Ecole maternelle de Bergheim

 

 

    La mythologie grecque qui a marqué comme nulle autre la culture européenne, est pour le sculpteur une mine inépuisable d’inspiration. Ses grands mythes proposent sur un plan proprement philosophique une pléiade de leçons de vie et de sagesse, à l’instar de l’heureux destin de Philémon et Baucis, à qui Zeus accorda de mourir ensemble, transformés en bois, Philémon en chêne, Baucis en tilleul, leurs feuillages entremêlés pour l’éternité. Jean-Jacques Erny en a conçu un arbre de vie propice à la méditation.

 

Dynastie Erny 45c.jpgPhoto: J-J Erny

Philémon et Baucis

 

 

    La littérature, elle aussi, est pour l’artiste plasticien une source prodigieusement variée de thèmes qui sont autant de messages, de divertissements, de passions d’expériences…Nous sommes redevables à Jean-Jacques Erny de nous y inviter en compagnie de l’humaniste Rabelais, en cette période où le «panurgisme» est toujours d’actualité. Ce bas-relief a la vivacité, le dynamisme d’un instantané cinématographique.

 


Dynastie Erny 46c.jpgPhoto: J-J Erny

Les Moutons de Panurge

D’après Rabelais, panneau pour un restaurant

 

 

    Quelques œuvres non figuratives «témoignent d’un intérêt pour les formes libres issues d’une trame géométrique.» Elles mettent en valeur les veinages, les effets de teintes des essences sélectionnées par le sculpteur: le tilleul, bois statuaire favori, bois homogène «qui répond bien à l’outil», l’iroko, bois exotique, le noyer, le chêne  au grain particulier et aux vertus ornementales que Jean-Jacques Erny aime mettre à profit, le merisier…

    La composition «Jeu de Cercles» et le «Trophée», abstraits, subjectivés, ont l’esthétique de la sagesse, synonyme de plaisir des yeux et d’émotion à offrir. «Il n’y a pas d’art sans rapport à une transcendance», dirait Luc Ferry. Nul besoin de «commentaires verbeux». C’est l’œuvre qui donne la valeur à la signature et non l’inverse.

 

Dynastie Erny 47c.jpgPhoto: J-J Erny

Composition: Jeu de Cercles

Dynastie Erny 48c.jpgPhoto: J-J Erny

Trophée

 

    Parmi ses travaux préférés, Jean-Jacques Erny place les portraits modelés dans la terre glaise ou coulés dans le bronze «avec l’ambition de rendre quelque chose de non visible». Il y réussit parfaitement par ses bustes. Or, point de repentir…Tout geste est définitif. «C’est la raison pour laquelle, lorsque je travaillais sur les bustes, je les réalisais d’abord en terre, pour attraper tout ce qu’il y avait à prendre dans la physionomie de quelqu’un.» Prenons l’exemple du bronze intitulé: «Personnalité strasbourgeoise». L’expressivité de ce visage d’homme mûr, prodigieusement animé, ce supplément d’âme qui émane de lui, sont le fruit de «nombreuses rencontres personnelles». Il faut connaître la personne de l’intérieur, il faut avoir conversé, réfléchi ensemble, confronté ses opinions, avoir ri ensemble… «C’est un portrait, c’est presque comme une démarche amoureuse. Il faut être en sympathie avec la personne que l’on a en face de soi. Il faut la rendre en ce qu’elle a de meilleur.» Les bustes d’Albert, d’Odile, de Marcelle, de Claude, ont ces mêmes vertus.

La proclamation de Théophile Gautier prend ici tout son sens:

«Tout passe. L’Art robuste

Seul, a l’éternité;

Le buste

Survit à la cité»

 

Dynastie Erny 49c.jpgPhoto: J-J Erny

Personnalité strasbourgeoise

Bronze

Dynastie Erny 50c.jpgPhoto: J-J Erny

Odile ERNY


Dynastie Erny 51c.jpgPhoto: J-J ERNY

Marcelle ERNY

 

 

Dynastie Erny 52c.jpgPhoto: J-J Erny

Claude ERNY, 5 ans

Bois

 

 

    Vers la fin de sa carrière, en 2012, à l’initiative Pantxika de Paepe, conservatrice en chef du musée d’Unterlinden, Jean-Jacques Erny a eu la joie d’être appelé à traduire en bas-reliefs l’ensemble du Retable d’Isenheim. En somme, la technique du Braille, appliquée à l’œuvre a permis de lui octroyer la troisième dimension Le Musée d’Unterlinden avait entrepris un long travail pour rendre certaines œuvres accessibles aux malvoyants. Aidé par deux confrères, le sculpteur releva le défi et restitua en bas-reliefs, à échelle réduite, l’ensemble de l’œuvre de Nicolas de Haguenau et de Mathias Grünewald. Quatre années de travail furent nécessaires.

 

Dynastie Erny 53c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Retable des Antonins d’Issenheim

La Crucifixion

 

 

Dynastie Erny 54c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Retable des Antonins d’Issenheim

Annonciation, Concert des Anges, Nativité, résurrection

 

 

 

Dynastie Erny 55c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Retable des Antonins d’Issenheim

L’Annonciation

 

 

Dynastie Erny 56c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Retable des Antonins d’Issenheim

Saint Antoine, patron de l’ordre

 

 

    Jean-Jacques Erny a formé à la sculpture une dizaine de jeunes à travers des contrats d’apprentissage par alternance. Sa fille, Sophie, fut l’une d’entre eux. Elle continua par la Faculté d’Arts Plastiques et une formation en art-thérapie.

 

 

Dynastie Erny 57c.jpgPhoto: J.-J. Erny

Jean-Jacques Erny, conseillant un de ses élèves

Dynastie Erny 58c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Œuvre de Sophie Erny

 

 

    Jean-Jacques Erny  se dit «curieux». Il a l’ambition «de rendre quelque chose de non visible», d’accéder à l’indicible. Au-delà du plaisir de l’œil, de l’harmonie, de la délectation que procure l’art profane, par l’art sacré, il exprime les valeurs suprêmes de la civilisation. Ses statues n’imitent pas la vie, chacune d’elles exprime la sienne: elles se regardent de l’intérieur comme le disait Malraux de l’aura des statues romanes.

    L’acte de créer ne le conduit pas à la solitude, mais au dialogue, à la connivence. L’amateur d’art devient un complice, voire un ami. A présent, il est «conscient d’avoir beaucoup reçu, fait de belles rencontres parmi ses maîtres, ses collaborateurs…» Cette gratitude honore Jean-Jacques Erny. La reconnaissance est la mémoire du cœur. Son adhésion à la foi chrétienne qui lui a insufflé l’esprit de responsabilité et d’engagement, l’a rendu sensible à la parabole des talents dans ce qu’elle a de primordial: «Pourvu que j’aie su faire fructifier tous ces «talents» que j’ai reçus»

 


Dynastie Erny 59c.jpgPhoto: J-J Erny

Saint Arbogast (Herrlisheim 67)

Le peuple cherche Arbogast pour être son évêque


Dynastie Erny 60c.jpgPhoto: J-J Erny

Saint Albert le Grand

 

Dynastie Erny 61c.jpgPhoto: J-J Erny

Christ en gloire dans une mandorle

Eglise St-Joseph de Colmar

 

 


 

 

Bibliographie

 

   


-       Collectif – Le Travail des Sculpteurs – Les racines du Savoir, Gallimard – 1993

-       Mary-Jane Opie – La Sculpture – Passion des Arts, Gallimard – 1995

-       Karine Delobbe – Histoire d’un Art: La Sculpture – Ed. PEMF – 2002

-       Robert Heitz– Etapes de l’Art alsacien XIXème et XXème siècles – saisons d’Alsace N° 47, 1973

-       Gabriel Braeuner – L’Alsace au temps du Reichsland. Un âge d’or culturel – Ed. belvédère – 2011

-       Janine Erny (4) – Théophile Klem (1849-1923). Un maître de l’art sacré – Editions du Net, 2012

-       André Malraux – La Tête d’obsidienne –Gallimard, 1974

-       Luc Ferry et André Comte-Sponville – La Sagesse des Modernes – Robert Laffont – 1998

-       F. Rihn - Jean-Jacques Erny, sculpteur. – Almanach St-Joseph, 2022


 

Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.