Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Edouard Hirth

(1885-1980)


Musicien de la couleur


Edouard Hirth 4Autoportrait (inédit)
© C. Wiedenhoff

    

    Né en 1885, mort, à 95 ans, en 1980, Edouard Hirth aura traversé une des périodes les plus cruciales de l’Histoire de la «petite patrie». Lorsqu’il voit le jour, le 14 septembre à Richwiller, près de Mulhouse, l’Alsace, en vertu du traité de Versailles, est abandonnée par la France au tout nouveau Reich allemand. Il fera sa scolarité en allemand, s’exprimera, pensera en allemand. Lors de la désannexion de 1918, il a trente-trois ans. C’est dire si son développement personnel a été marqué par la culture allemande. Le bouleversant changement de régime politique qui s’ensuit, fait craindre une nouvelle atteinte à son identité alsacienne. En 1940, il a alors cinquante-cinq ans, il subira la trop longue et trop éprouvante parenthèse de la deuxième guerre mondiale. Pour lui aussi elle sera traumatisante: son épouse en sortira grièvement blessée et handicapée pour le restant de sa vie à la suite d’un bombardement de Strasbourg en 1944.

    Il a plus de soixante ans quand il retrouvera cette vie qui s’écoule comme un long fleuve tranquille et que le destin accorde si rarement aux artistes. Tout de même, sa carrière aurait sans doute été très différente, dit Pia Wendling, «si les circonstances, imposées par l’Histoire ne l’avaient obligé à revenir en Alsace. Sa culture germanique, sa formation acquise en Allemagne et surtout son installation à Bückeburg où il avait une situation stable et acquis une certaine notoriété, le destinaient à un avenir plus brillant outre-Rhin.»

Un sens aigu de l'observation


    La vocation artistique s’impose très tôt à Edouard Hirth. Ses parents, conscients de son aptitude au dessin, la favorisent. En 1901, à l’âge de 16 ans, il est inscrit à l’Ecole des Arts Décoratifs que le maire de Strasbourg, Otto Back, vient de créer. Ses professeurs, Georges Daubner, un peintre du plein air, Auguste Cammissar et Carl Jordan, le plus apprécié de lui, lui donnent le goût des paysages et des scènes de la vie familiale à Sarrebourg où son père occupe un poste important dans l’industrie horlogère. «Ces compositions, généralement de petit format, sont exécutées à la peinture à l’huile dans des coloris lumineux et francs. La touche est épaisse et la matière structurée. Elles témoignent de son sens aigu de l’observation.» (*)


Edouard Hirth 5Le verger à Sarrebourg, vers 1904 - Huile sur papier, marouflé sur carton (19.5 x 28.5 cm) - Collection particulière
© J.-L Muller



Edouard Hirth 6Sous-bois, vers 1914 - Huile sur toile (71.5 x 51.5 cm) - Collection particulière
© J.-L Muller

     

    

    En 1905, il quitte Strasbourg pour Munich où il fréquente, jusqu’en 1909, la prestigieuse académie des beaux-arts, comme la plupart des artistes alsaciens de sa génération. Comme eux, il éprouve l’irrésistible attirance de Paris. C’est là qu’il fait la connaissance du strasbourgeois Simon Lévy qui aura sur lui une certaine influence.

    De 1909 à 1911, il effectue des voyages en Belgique, en Hollande, en Allemagne où il est confronté à l’expressionnisme qui dépassait en véhémence tout ce qu’on avait vu jusque-là, sous les formes diverses qu’adoptèrent les artistes de la Brücke et du Blaue Reiter, Kirschner d’un côté, Kandinski et Klee de l’autre. Mais, ne se sentant pas concerné par les tensions politiques et sociales qui lui ont donné naissance, Edouard Hirth n’adhère pas à ce mouvement bien qu’il entretînt une amitié suivie avec René Beeh (1886-1922) dont les dessins aquarellés se ressentent de l’expressionnisme et de ses violences.


 Edoaurd Hirth 7

Rosalie - 1911 - Huile sur carton (96.5 x 76.5 cm)

Collection particulière

© Photo Musées de Strasbourg



Une période faste et sereine brutalement interrompue

    

    En 1913, année décisive, Edouard Hirth se voit proposer par l’intermédiaire du haut fonctionnaire Kap-Herr dont il avait fait le portrait, le poste de professeur dans la nouvelle Ecole des Arts et des Arts appliqués de Bückeburg. Son séjour dans cette ville de Basse-Saxe, capitale de la petite principauté de Schaumburg-Lippe, restera dans sa vie une période faste, sereine. Il est confortablement rémunéré en tant que fonctionnaire, un atelier est mis gratuitement à sa disposition et c’est à Bückeburg qu’il fait la connaissance d’Ellen-Elisa Rowell, jeune préceptrice anglaise qu’il épouse en août 1914.

    Malheureusement la guerre va bouleverser cette belle ordonnance. Incorporé, Edouard Hirth demeure en garnison en Pologne de décembre 1915 à l’automne 1918. Le sort s’acharne sur sa famille. Son frère meurt sur le front russe en 1917, sa sœur succombe à la grippe espagnole en 1918. En 1919, il est plus directement touché par la mort de l’enfant que son épouse vient de mettre au monde. La même année, la situation économique dans laquelle la guerre a plongé l’Allemagne, provoque la fermeture de l’école de Bückeburg. Edouard Hirth est contraint de revenir en Alsace.

    En 1920, il se retrouve à Strasbourg. L’Europe ayant recouvré la paix, il peut dès lors renouer avec les voyages où se mêle l’agrément à l’étude. En compagnie de son épouse, il visite l’Angleterre. Il y découvre et apprécie le caractère émotionnel de l’œuvre de John Constable, sa technique étonnante du couteau, son respect de la nature, ses paysages aux teintes éthérées, ainsi que les portraits en pied sur fond de campagne de Thomas Gainsborough qui imprègne ses modèle de poésie rêveuse.

    Pourtant, la situation du couple n’est guère aisée. Ils habitent à l’Hôtel du Cercle évangélique, 7, rue Finkmatt à Strasbourg. Ellen dispense des cours d’anglais, tandis qu’Edouard donne des leçons particulières de dessin. Ensuite, l’opportunité leur est offerte de reprendre l’appartement et l’atelier de Martin Hubrecht au N° 16 de la rue des Veaux. De 1922 à 1924 Hirth est nommé professeur de dessin au collège épiscopal de St Etienne.

 

L'influence de Cézanne au sein du groupe de Mai

 

 

    En 1924, il adhère au Groupe de Mai. Ce groupe, fondé en 1919, prendra une place importante dans la vie artistique de l’Alsace. Avec les autres petits groupes qui lui succèdent, il constitue «le levain de la fermentation ininterrompue que connaît notre province - dans l’art pictural – depuis le renouveau de 1900.» (***). Le groupe de Mai se stabilise au nombre de dix membres dont les deux animateurs, Balthasar-Haug et Simon Lévy, assurent la cohésion. Homogène, parce que ses membres cooptés appartiennent sensiblement à la même génération et émanent d’une formation semblable, le groupe de Mai ne fut jamais un carcan. Selon Robert Heitz, le «style Groupe de Mai» se définit comme un réalisme, traditionnel en Alsace, mais décanté, purifié par l’exemple de Cézanne dont Simon Lévy était en quelque sorte le prophète.»

    C’est l’art de Cézanne, interprété par le tempérament de chacun qui donnera son unité au groupe au début, et le distinguera des autres peintres alsaciens «qui restent attachés à ce qu’ils croient être la vérité objective.» (***) Qu’est-ce que les peintres du groupe de Mai ont retenu de son art? Comme lui, ils considèrent que l’art est une harmonie parallèle à la nature. C’est-à-dire une logique d’organisation selon une loi d’harmonie. Ils s’efforcent de trouver dans la nature un ordre supérieur et durable qu’ils expriment, en peinture par la couleur: «Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude.», dit Cézanne qui cherche à donner à la couleur sa plus grande force suggestive, la justesse du ton donnant à la fois la lumière et le modelé. De plus, la couleur doit devenir l’expression de la distance, la couleur étant, selon lui, le seul artifice possible permettant de rendre compte de l’espace sur une surface plane. Enfin, l’influence de Cézanne, sur Simon Lévy en particulier, se traduit sur la toile par les aplats en facettes, touches colorées qui construisent le sujet de l’intérieur car il ne greffe pas la couleur sur une forme préétablie. Influence particulièrement sensible dans les paysages, dans la nature-modèle, la nature respectée…

    Or «Celui des Dix qui aura le plus fortement subi l’influence de Simon Lévy est Edouard Hirth. Son art d’une grande discrétion a une préférence pour les formats réduits, où il sait faire chanter ses accords de couleurs raffinés. Ses sujets favoris sont des intérieurs ou des natures mortes paisibles ou encore des paysages des environs d’Avignon, où il fait de fréquents séjours et dont il sait rendre la luminosité sans violence. Même si l’on ne sait pas que tel est son instrument de prédilection, devant ces douces harmonies on croirait entendre un air de flûte.» (***)

    Cependant, il convient de ne pas surestimer l’ascendant de Simon Lévy sur Edouard Hirth. «Un travers très fréquent consiste à faire de mon grand-oncle le «disciple» de Simon Lévy, prévient Monsieur Jean-Léon Muller. Ce n’est pas conforme à la réalité. Toute une partie de sa carrière (peut-être la plus riche) s’est déroulée avant son entrée au groupe de Mai. Si Simon Lévy est un ami de longue date…il ne fut jamais son mentor. Simon Lévy fut un animateur hors pair, avec une intelligence critique, une excellente plume et un entregent précieux pour ses confrères peintres alsaciens.»


Edouard Hirth 8Carte postale envoyée depuis Paris par Simon Lévy à Edouard Hirth - le 31 Mai 1910
© J.-L Muller


    En fait, Hirth connaît Cézanne bien avant son adhésion au groupe de Mai en 1924, le dernier des Dix. Il est, par conséquent, d’emblée d’accord avec Simon Lévy. Il était parti, selon Robert Heitz, d’un impressionnisme qui manifestement ne convenait pas à sa nature réfléchie et minutieuse. Après la guerre, son coup de pinceau un peu sec recouvrait la toile d’une mosaïque multicolore. C’était évidemment le procédé cézannien, mais desséché, mécanisé.


Ses toiles retrouvent le frémissement de la Vie


    « Edouard Hirth, dit Marc Lenossos, n’ayant ni l’envergure, ni la largeur de vue d’un Cézanne et ne pouvant se contenter de l’étroite conception quasi-dogmatique d’un Simon Lévy, se replia sur lui-même. Bien lui en prit! Le soleil du Midi dégela son enthousiasme et délivra Edouard Hirth de sa manière de peindre sèche, correcte, mais froide, et «standardisée» à l’excès. Ses touches se firent plus souples et plus alertes. Elles se desserrèrent afin de mieux laisser circuler l’air autour d’elles. Vers 1926-27, Hirth rapporta des environs d’Avignon, des toiles belles de lumière, d’un coloris chaud et discret et dont la précision méthodique de l’exécution ne tuait plus le frémissement de vie qui doit animer toute œuvre d’art.»


Edouard Hirth 9Paysage: Villeneuve-lès-Avignon - Huile sur toile (73 x 92 cm) - Musée Unterlinden, Colmar
© Photo Musées de Strasbourg



    Sa quête de la perfection, sa méticulosité, le poussent à travailler assidûment pendant plusieurs mois des œuvres dont le nombre, de ce fait, se restreint. S’il prend ses distances avec les manifestations du groupe de Mai où il n’envoyait chaque année que deux ou trois tableaux, d’ailleurs excellents selon Marc Lenossos, il garde à Simon Lévy une amitié indéfectible. Plusieurs œuvres de Simon Lévy sont encore la propriété des descendants du peintre, dont un joli portrait de Hirth jouant de la flûte que Simon réalisa dans les années 1920, nous révèle Jean-Luc Kahn. Cette amitié s’est concrétisée par des séjours communs à Villeneuve-lès-Avignon, notamment en 1939-40, suite à l’évacuation de Strasbourg à laquelle il doit obtempérer. Elle se traduit également, dans une certaine mesure, sur les toiles des deux amis, dans leurs paysages…


Edouard Hirth 10
Edouard Hirth jouant de la flûte - Simon Lévy
© J.-L Muller



Un remarquable dessinateur


    Edouard Hirth est aussi un remarquable dessinateur. En 1913, il est sollicité par l’éditeur Singer de Strasbourg pour l’illustration, en un volume, de Tom Sawyer et Huckleberry Finn de Marc Twain. La connaissance de son œuvre de dessinateur que Marc Lenossos apporte à ses lecteurs de la Vie en Alsace de 1937, augmente considérablement la renommée d’Edouard Hirth auprès des amateurs d’art et des collectionneurs. Lenossos considère que Hirth dessinateur est très différent de Hirth peintre.

    Et ce, «sans la moindre contradiction. Il pousse le raffinement jusqu’à épuiser les ultimes ressources de chaque technique…. Il peint pour exprimer avec délicatesse les subtiles et exquises modulations de la couleur. Il dessine avec virilité pour éterniser l’expression fugitive d’une physionomie.

    Sur la toile, il jouit d’un plaisir de dilettante.

    Sur le papier, il concentre sa pensée. Ses peintures sont des analyses de paysages, minutieusement fragmentées. Ses dessins constituent des synthèses totales et définitives de portraits.» Ses dessins à la mine de plomb ont été exposés en 1937 à la Maison d’Art Alsacienne.



Edouard Hirth 11Portrait d'un jeune garçon - Mine de Plomb
© La Vie en Alsace, 1937



    De 1945 à 1955, il enseigne à l’Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg. Au-delà de cette date, il mène une vie discrète. Il ne quitte plus guère son appartement du n° 16 de la rue des Veaux. Il continue de peindre jusqu’à la limite de ses moyens, considérablement amoindris à la suite d’une déficience visuelle irréparable. C’est dans la maison de retraite Niederbourg à Illkirch, où il a été admis l’année précédente, qu’il s’éteint le 24 mars 1980.


" Humble en son labeur appliqué "


    Cet artiste modeste qui n’a jamais brigué la meilleure place «humble en son labeur appliqué» (**), qui n’a conquis ni la célébrité ni la gloire, n’a exposé que fort rarement. Cependant, il était présent à Francfort en 1905, à l’exposition des Jeunes Artistes Alsaciens et Lorrains en 1911, à Berlin, à la Berliner Secession, à plusieurs reprises, en 1913, en 1926, en 1929, en 1930 et plus tard en 1955 à la Maison d’Art Alsacienne à Strasbourg. En 1974, il participe à une exposition au Jardin de l’Orangerie. Enfin, plusieurs œuvres d’Edouard Hirth sont exposées, en 1984, à la Maison d’Art Alsacienne lors de l’exposition: «Quelques Aspects de la Peinture en Alsace».

    L’art d’Edouard Hirth s’exprime en vibrations colorées. Nous n’échappons pas à leur charme prenant en particulier dans ses natures mortes; ces dernières étant ses œuvres de prédilection, celles dans lesquelles, patiemment, il met le meilleur de lui-même.

    «Ses symphonies picturales, longuement et méthodiquement sonorisées, ont souvent éveillé des échos dans bien des cœurs» (**) Leur harmonie, faite d’équilibre et de justesse, traduit aisément l’émotion vraie, sincère, du peintre.

   

    Tel est l’art irrésistible d’Edouard Hirth, musicien de la couleur.




Bibliographie:

 

- Pia Wendling (*) – Plaquette de l’exposition Edouard Hirth (1885-1980) au Musée historique de Haguenau - 2004

- Marc Lenossos (**) – Physionomie d’artiste Edouard Hirth – La Vie en Alsace

- Marc Lenossos – Edouard Hirth, dessinateur. – La Vie en Alsace

- Robert Heitz (***) – Le Groupe de Mai, 1919-1939 – La V ie en Alsace

- Robert Heitz – Etapes de l’Art alsacien  - Saisons d’Alsace N° 47, 1973.

- Jean-Luc Kahn – Simon Lévy, l’impressionniste alsacien – Editions Coprur - 2011

- Hélène Braeuner – Les Peintres et l’Alsace, autour de l’impressionnisme – La Renaissance du Livre - 2003


   

Portfolio


Edouard Hirth 12Emilie – 1911
© La Vie en Alsace




Edouard Hirth 13Le petit-déjeuner, 1911 – Huile sur carton (37.5 x 50 cm) - Collection particulière
© Photo: Musées de Strasbourg





Edouard Hirth 14

Poupée couchée – Huile sur toile
© J.-L. Muller




Edouard Hirth 15

Poupées japonaises, 1913 – huile sur toile - (50 x 61 cm) - Collection particulière
© Photo: J.-L. Kahn




Edouard Hirth 16
Nature morte au calice, vers 1925-30, Huile sur toile (38 x 55 cm) - Collection particulière
© Photo: Musées de Strasbourg




Edouard Hirth 17

Nu, vers 1930 – Gouache sur carton (48 x 26 cm) - Musée d'Art Morderne et Contemporain de Strasbourg
© Photo: Musées de Strasbourg




Edouard Hirth 18 

Saverne sous la neige, 1944-45– Huile sur panneau (22 x 33 cm) - Collection particulière
© Photo: J.-L. Kahn




Edouard Hirth 19

Vue générale de Ribeauvillé – Huile sur toile (50 x 65 cm) - Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Photo Musée Strasbourg



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