Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr
                      

 

Sculpteurs Alsaciens

Séquence 5 

  

Jean Henninger (1916-1994)

 

Jean Henninger 01c.jpgAnonyme
Jean Henninger

 

 

    

    En réponse à la question: «Comment devient-on sculpteur?», Jean Henninger invoque  une vocation qui se manifeste par un besoin impérieux d’exprimer avec les mains ce que dicte l’esprit. L’essentiel étant de posséder des dons solides, une farouche volonté de se former et une vision fervente de la beauté artistique.

    Muni de ce précieux viatique, Jean Henninger a, au cours de sa longue et très riche carrière, construit une œuvre magistrale, à la fois sensible et puissante évoluant vers la pureté des lignes, «l’esthétique du lisse», atteignant l’excellence dans tous les domaines d’expression de son art.

 

    Jean Henninger est né le 17 mai 1916 à Strasbourg. Il est le fils de Charles Henninger, entrepreneur de transport (Fürunternehmer), installé dans le quartier de la Krutenau, rue des Balayeurs (Feggasse), au N° 20, et de Marie-Madeleine Goetzmann, tous deux de confession protestante. Né au temps du Reichsland, il obtient la nationalité française en 1919. Il effectue ses études secondaires dans le vénérable gymnase Jean Sturm, école protestante humaniste crée au seizième siècle.

    En 1931, il entre à l’Ecole des Arts-Déco de Strasbourg, alors dirigée par le sculpteur Rupert Carabin. La première année, il sera élève ébéniste, puis, durant quatre années, élève sculpteur dans l’atelier d’Albert Schultz. En 1936, il est diplômé, avec mention Très Bien. Il obtient le Prix de la Ville de Strasbourg et se voit honoré de la Plaquette de la Société d’Encouragement à l’Art et à l’Industrie pour sa première œuvre officielle intitulée «Statue du Désespoir», taillée dans une bille de bois provenant des échafaudages de la cathédrale. Une statue jugée «robuste et quasiment parfaite»…

 

Jean Henninger 02c.jpgPhoto: Alice Bommer

Le Désespoir

 

 

A partir d’octobre 1936, il poursuit sa formation à Paris à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts dans l’atelier de Jean Boucher, célèbre pour son monument dédié à Ernest Renan (Tréguier)

 

Jean Henninger 03c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Ernest Renan

Par Jean BOUCHER

 

 

    Le témoignage que Jean Henninger nous laisse de son séjour à l’Ecole est instructif eu égard à ce que celle-ci est devenue par la suite: «C’était très manuel, on apprenait le métier en travaillant le bois, la pierre. Après on pouvait ajouter de l’art si on voulait embellir une chose, y ajouter sa personnalité; sinon on pouvait rester ébéniste. Il y avait le père Schultz – celui qui a fait la Gaenseliesel – qui était mon professeur de modelage. Pour la taille de la pierre et du bois, c’était Messer, un ancien ouvrier de la cathédrale. En principe, les élèves qui arrivaient là, savaient ce qu’ils voulaient faire, et n’allaient pas d’un métier à l’autre, ce qui, à mon avis, est du bricolage.»

    Appelé au Service Militaire en 1937, il est démobilisé en 1940 et reprend aussitôt ses études comme «Meisterschüler» à l’Ecole des Arts-Déco, passée en «mode» Troisième Reich, sous la direction d’Egon Guthmann, lui-même, totalement acquis au système…. De 1943 à 1945, il subit, à l’instar de 130 000 autres Alsaciens-Lorrains, la tragédie de l’Incorporation de Force. Envoyé sur le front russe, comme 90% de ses compatriotes, il est grièvement blessé à Stalingrad.

    Dès novembre 1945, il rejoint l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, pour suivre les cours de Paul Niclausse, (1879-1958), sculpteur et médailleur de style art-déco. Le 8 mai de cette année, il épouse Manuela Loos, danseuse-étoile, originaire de Bochum qui se consacrera entièrement à la peinture à partir de 1948. De cette union naîtront deux enfants. Tous deux s’engageront dans la voie artistique, puis dans l’artisanat d’art, l’un dans l’ébénisterie, l’autre dans la ferronnerie d’art  Cette même année, 1948, Jean Henninger est éligible au Prix de Rome, c’est-à-dire qu’il est autorisé à participer au concours.

 

 

Jean Henninger 04c.jpgPhoto: Guy Marché

Manuela

Bronze

 

    «Je suis allé à Paris aussi bien pour me perfectionner que pour voir autre chose; pour me rendre compte si Paris était vraiment supérieur à ce qu’on faisait ici. […] Ayant appris tout ce que je voulais acquérir, je suis revenu à Strasbourg délibérément, en espérant pouvoir vivre de ma sculpture car il y avait moins de concurrence ici.» Or, dès 1949, il obtient une commande privée, très originale, sous la forme d’un grand panneau traité en bas-relief.

 

Jean Henninger 05c.jpgPhoto: Alice Bommer

Scène de chasse

Bas-relief (3,80x2,75 m)

 

 

    En 1950, la ville de Strasbourg lui confie la restauration de la statue du «Pelleteur» d’Alfred Marzolff (1906), une des quatre sculptures monumentales du Pont Kennedy qui a été accidentellement endommagé en septembre 1945. En possession de la maquette de l’œuvre initiale que la veuve de l’artiste lui a confiée, Jean Henninger recrée fidèlement la statue. Ainsi, le pont a retrouvé l’intégralité de son décor.

 

 

Jean Henninger 06c.jpgPhoto: archi-wicki.org

Le Pelleteur d’Alfred Marzolff

Pont Kennedy, Strasbourg


 

    Il a, en 1946, répondu à l’appel de Roger Marx, écrivain et critique d’art, qui tente de regrouper les jeunes artistes désemparés après quatre ans de Diktat du «Kulturamthauptstellenleiter», afin de les guider dans la «voie à suivre»…. Et ce fut le «Groupe de l’Issue». Mais, Roger Marx est un idéaliste qui considère que l’histoire de l’art s’est arrêtée quand surgit le surréalisme. D’après lui, Braque et Kandinski «n’appartiennent pas à la peinture»…(2) Jean Henninger allait-il suivre la doctrine de Marx qui prône «l’imitation créatrice», un carcan stigmatisé, à juste titre, par Robert Heitz? Il est permis d’en douter…Toutefois, l’Issue, composée de peintres et de sculpteurs, est rapidement rejoint par des musiciens, des acteurs, des poètes. L’objectif est l’organisation d’expositions collectives et individuelles. La vie de l’association s’avère éphémère: elle disparaît après la deuxième exposition, en 1947. C’est l’occasion, pour le critique Marc Lenossos, de distinguer la prestation du sculpteur: «Agé de 29 ans, Jean Henninger a déjà atteint une grande noblesse de style. Une vision large, pas un détail superflu, une exécution impeccable et sobre. […] Jean Henninger n’est plus un espoir, mais une certitude.»

    Ces premières expositions inaugurent une longue série qui jalonne la riche carrière de Jean Henninger. Les œuvres, au nombre de 22, qu’il présente, en 1948, à la Maison d’Art Alsacienne, séduisent la critique et, notamment, Jean Granel: «C’est de la grande classe, c’est racé, sensible et puissant, calme et plein de mouvements sous-jacents, équilibré…Les grandes figures me semblent, à cet égard, les plus significatives et les plus importantes en ce qu’elles sont l’émanation même de ce style dont je viens de parler. Leurs volumes sans heurts et sans «effets», la délectable combinaison de lignes et de plans qu’elles créent d’un mouvement calme et sans emphase, toutes ces qualités désignent d’emblée Jean Henninger comme un des plus doués parmi les sculpteurs de demain.»

 

Jean Henninger 07c.jpgArchives privées

Œuvres présentées à l’exposition de 1948

 

 

          Jean Henninger  s’est délibérément associé à l’idée de former un autre groupe qui s’est créé au sein de l’A.I.D.A. dont il est sociétaire; idée qui a germé dans l’esprit de Jean-Jacques Hueber, alors secrétaire de la Société éponyme. Malgré et, peut-être, grâce à la diversité des tempéraments, un accord est rapidement conclu. C’est ainsi que le 21 mars 1959, jour de Pâques, est né le «Groupe de l’Oeuf», la Maison d’Art Alsacienne lui servant de nid…L’œuf, symbole exigeant de «perfection, de pureté, de fécondité» (2) que les exposants se sont donnés. Ils sont dix: André Brika, Camille Claus, Rojer (sic) Cochard, Alfred Edel, Louis Fritsch, Jean Henninger, Camille Hirtz, Jean-Jacques Hueber, Fred Tinsel et Louis Wagner. Le groupe, animé d’un indubitable esprit d’équipe, se déplace à Paris, Munich, Ludwigshafen, Karlsruhe, Nancy, Mulhouse…

 

Jean Henninger 08ac.jpg
Jean Henninger 08bc.jpgPhoto: Musées de Strasbourg

Invitation au Salon de l’Oeuf

Dessin de Jean Colette, élève de la classe de publicité de l’EADS

 

 

Jean Henninger 09c.jpgPhoto: Guy Marché

Tête d’Enfant

Syénite (de Syène, ancien nom de la ville d’Assouan), roche constituée de feldspath alcalin

 

 

    Lors de l’expo de 1959, à la Maison d’Art Alsacienne, rue Brûlée, Jean Henninger présente une «Tête d’Enfant», exécutée dans une «belle syénite dont il a su ménager le grain» (6) qui recueille les faveurs de Roger Kiehl. Pour celle de 1960, J.-J. Hueber demande aux participants de consacrer une œuvre, au moins, au thème de l’œuf. Jean Henninger «pond», à l’occasion, un galet gravé du Rhin «dont il garda le secret»…(2) En 1964, il réalise la «Jeune fille à la Tortue» qui égaie la place d’Austerlitz.

 

Jean Henninger 10c.jpgPhoto: Guy Marché

Galet gravé du Rhin

 

 

Jean Henninger 11c.jpgPhoto: Guy Marché

Galet gravé

Sous le signe de l’œuf, figurant sur le carton d’invitation de l’exposition de 1966


 

          Des expositions seront organisées, régulièrement, chaque année; notamment au Salon International de peinture et de sculpture Alsace-Bade-Bâle à Guebwiller (1960), à la Galerie Duncan à Paris, à la Maison d’Art alsacienne à Mulhouse et, en 1961 à Munich «Tout simplement, écrit Louis Fritsch, ce fut pour le Groupe de l’Oeuf, une sorte de consécration: un voyage heureux, une critique sympathique, la fierté surtout de se contempler aux cimaises de cette capitale de la peinture.[…] Emportés par ce tourbillon, six d’entre nous, (Claus, Henninger, Hirtz, Hueber, Wagner et Fritsch), participèrent en septembre, à une exposition organisée par le Kunstverein de Ludwigshafen… Souvenir inoubliable.» (10)

 

Jean Henninger 12c.jpgPhoto: Guy Marché

Croquis préparatoire

Hypothèse

 

 

Jean Henninger 13c.jpgPhoto: collection privée

Jeune fille à la tortue, bronze, 1964

Fontaine, Place d’Austerlitz, Strasbourg

 

 

Jean Henninger 14c.jpgPhoto: Archi-wicki.org

Jeune-fille à la tortue, bronze, 1971

Version munichoise

 

 

    Hélas! Ce bel esprit de famille dans la diversité ne dure qu’un temps. Le 10ème anniversaire de 1969 n’est pas fêté. Des critiques surgissent peu à peu qui reprochent à l’association son manque d’implication dans les recherches d’avant-garde…C’est la dislocation. Jean Henninger est celui qui la regrette le plus amèrement. Mais, l’éclatement, selon Rojer Cochard, n’est-il pas dans la nature même d’un groupe? Pour émerger, rien ne vaut la liberté!...

    Notons que Jean Henninger a fait partie du «Groupe des Sept» qui précéda celui de l’Oeuf. La composition des deux groupes était sensiblement la même…Il y a présenté «dans un calcaire dont la blancheur attire la lumière sans réticence» (7), une Piéta, une Marchande des Quatre Saisons, «motifs simples qui fuient l’anecdote pour nous restituer la simple pureté des lignes» (7). Par ailleurs des œuvres d’inspiration monumentale telle que la Descente de Croix, montrent combien il est à l’aise dans le mouvement. En 1954, il est le seul sculpteur présent à la Galerie Huffel à Colmar avec de petites statuettes, dont une «Sainte» et une «Comédie»

 

Jean Henninger 15c.jpgPhoto: Guy Marché

Sainte

Jean Henninger 16c.jpgPhoto: Guy Marché

La Comédie

 

 

    Cet engagement associatif, n’empêche pas Jean Henninger de participer aux nombreuses expositions tenues régulièrement par l’A.I.D.A., parfois en association avec son épouse Manuela. Elles s’étendent sur une durée d’un demi-siècle, de la première qui date de 1936 à la dernière en 1986

    De 1956 à 1984, il enseigne à l’Ecole des Arts-Déco de Strasbourg, tout comme l’ensemble de ses coéquipiers du groupe de «l’Œuf». Cette bonne camaraderie professionnelle et professorale est à l’origine de leur union. Le poste de professeur offre à Jean Henninger un avantage non négligeable en lui permettant de développer en parallèle, et dans les meilleures conditions, ses propres créations. La période pendant laquelle il exerce son professorat correspond sensiblement à celle où François Cacheux a assuré la direction de l’Ecole. (1959-1988). Période particulièrement dynamique. Soutenu indéfectiblement par Robert Heitz en tant qu’adjoint de Pierre Pflimlin, chargé des Beaux-Arts et président de l’A.I.D.A. dont la plupart des professeurs font partie, François Cacheux «a réussi à opérer la mutation d’une Ecole d’inspiration allemande fortement marquée d’un régionalisme parfois étroit, en une Ecole d’art de caractère français, non seulement dans sa pédagogie mais dans son esprit, dans son caractère, tout en maintenant les apports positifs de son passé allemand et de son enracinement régional». (1) Ses principes pédagogiques novateurs qui ont privilégié l’aventure créatrice, ont fait de l’EADS une Ecole Supérieure d’Art. C’est avec beaucoup d’estime qu’il a accueilli Jean Henninger: «Un vrai sculpteur qui enseignait l’approche de la matière aux élèves de première année. Je m’empressais de lui donner le cours de modelage du Cafas (Certificat d’Aptitude à une Formation Artistique Supérieure) puis l’atelier de sculpture laissé vacant par le décès de Pierre-Paul Klein»

    Parmi ses élèves les plus talentueux, retenons le nom de Thierry Delorme, à qui nous devons la Jeune Fille au Parapluie de Stutzheim, assise sur un banc «Impératrice Eugénie» en grès des Vosges

 

 

Jean Henninger 17c.jpgPhoto: Archi-Wicki

Thierry Delorme

La Jeune Fille au Parapluie

Bronze

 

 

    En 1962, Jean Henninger  obtient le Prix Schongauer de l’Adadémie d’Alsace.

    Il admirait Maillol et Rodin, sans pour autant chercher à les imiter. A la lourdeur des corps de Maillol, il lui arrive de répondre par des silhouettes longiformes, telles les «flammes» (6) du Fils Prodigue. Il revendique surtout l’influence d’Antoine Bourdelle (1861-1929), sans doute subjugué par la hardiesse expressionniste de son Héraclès archer. Il aimait le symboliste Ernst Barlach (1870-1938) qui affectionnait le bois, Georg Kolbe (1877-1947), aux bronzes tout en mouvement, Fritz Klimsch (1870-1960), artiste réaliste, célèbre pour ses bustes…

 

Jean Henninger 18c.jpgPhoto: Guy Marché

Le Fils Prodigue

 

 

    Camille Hirtz et Jean Henninger se sont liés d’une amitié sincère. Ils ont été élèves ensemble aux Arts Déco. Par la suite, c’est Camille qui y a fait entrer Jean en tant que professeur. «Ce qui évidemment a été fortement apprécié…Fidèle jusqu’à la mort!» (10). Dans les années 1950-60, Camille Hirtz a consacré aux artistes de sa génération une série d’articles de fond parus dans les DNA. Celui qu’il a dédié à Jean Henninger, en 1953, comporte une analyse de l’évolution de l’art de son ami, assurément fondée.

 

 

Jean Henninger 19c.jpgCollection privée

Buste de Camille Hirtz

Par Jean Henninger, en 1946

Jean Henninger 20c.jpgCollection privée

 

 

    Intitulé: «Au sculpteur Jean Hennnger, l’avenir est ouvert», il expose d’abord les «influences néfastes» dont il a dû et su se garder, notamment «l’exubérance et l’illogisme du Modern-Style. […] Réaction saine, surtout marquée par l’insistance sur le caractère rationnel de ses œuvres récentes.» Henninger aurait eu, d’après Hirtz, «des difficultés à se libérer des influences littéraires et anecdotiques d’Albert Schultz», son professeur. Libéré également de ses maîtres parisiens, Jean Boucher et Paul Niklausse, il se tourne vers un naturalisme «dépouillé des scories de l’imagerie», c’est-à-dire d’un style baroque vers un classicisme; «de la flamme vers l’œuf, du rythme vers la ronde plénitude», comme disait Robert Heitz.

    Camille Hirtz constate que ses premières œuvres peuvent faire penser à Rodin, «dans sa période impressionniste aux touches nerveuses faites de petites boulettes juxtaposées», et qu’enfin, Maillol lui suggère «la nécessité de la forme pleine»

 

 

Jean Henninger 21c.jpgPhoto: Guy Marché

La Mère et l’Enfant à la poupée

Une œuvre de la période impressionniste

 

 

    Dès lors, «ses lignes de composition deviennent de plus en plus circulaires et pleines, constate Camille Hirtz. C’est une naissance intuitive, corrigée dès le départ par la vision constructive utilisant le bloc disponible au maximum. De très nombreux dessins à la plume d’oie, linéairement sobres, aux oppositions circulairement constructives, forment le prélude de ses dernières sculptures.». Henninger s’oriente délibérément vers une «esthétique du lisse qui appelle une calme caresse». Les lignes pures, le mouvement gracieux de la «Sirène», belle scène anecdotique, en témoignent.

 

 

Jean Henninger 22c.jpgPhoto: archi-wicki.org

Sirène, bronze

Place de l’Esplanade, Strasbourg

 

 

    Les très nombreuses expositions personnelles, outre celles auxquelles il participe dans le cadre des associations dont il est membre, permettent de suivre l’évolution de son œuvre; une œuvre qui, tout au long de sa carrière, a toujours été le reflet fidèle de sa personnalité. Deux périodes sont distinguées par les critiques: celle des sculptures toutes en rondeurs et celle des statues longilignes. «Ces dernières étant plus typiques, à notre avis, d’une recherche que de l’originalité du talent de Jean Henninger qui s’exprime admirablement dans les sculptures en pleine matière.» Notons que sa carrière, longue de cinquante ans, a également été marquée par un humour tout en finesse dont Jean Henninger, avec ses galets ciselés,  s’est fait une bien amusante spécialité.

 

Jean Henninger 23c.jpgPhoto: Guy Marché

Galet du Rhin

 

 

    L’art de Jean Henninger accède à une pureté de lignes, de formes qui est du domaine de la perfection, où l’élégance est l’habit de fête de l’expressivité

 

 

Jean Henninger 24c.jpg Photo: Guy Marché

La Peur

 

 

Jean Henninger 25c.jpgPhoto: Guy Marché

Couple

 

 

Jean Henninger 26c.jpgPhoto: Guy Marché

Couple enlacé

 

 

Jean Henninger 27c.jpgPhoto: Guy Marché

Nu allongé

 

Jean Henninger 28c.jpgPhoto:Guy Marché

Tête d’Enfant

 

 

    Le talent de portraitiste de Jean Henninger se révèle à travers plusieurs bustes en terre cuite, pierre ou bronze. Il maîtrise remarquablement cette discipline très exigeante: faire ressortir le regard, rendre les visages vivants, leur donner une âme en les travaillant de l’intérieur…Replacer l’esprit au cœur de l’expression artistique dans des matériaux nobles Ecrire avec la lumière comme seul le sculpteur peut le faire.

    Jean Henninger a pris pour modèles nombre d’amis et de connaissances, ainsi que, bien sûr, son épouse Manuela.

    En 1948, la Ville d’Obernai lui passe commande d’un buste du Général Leclerc, probablement réalisé à partir de photos noir et blanc contrastées pour une meilleure lecture des volumes. A cette occasion il réalise un grand médaillon où se détache le buste du libérateur de la ville, représenté de profil, ce qui permet de déterminer au mieux l’identité du sujet

 

 

Jean Henninger 29c.jpgArchives privées

Buste du Général Leclerc

 

 

Jean Henninger 30c.jpgArchives privées

Médaillon avec portrait de profil du général Leclerc; Obernai, 1948

 

 

    «Sa notoriété dépasse rapidement les frontières de l’Alsace. Du 10 au 15 octobre 1960, J. Henninger  est ainsi invité au premier Congrès des sculpteurs sur bois européen à Urberg (Forêt-Noire) et à une exposition collective réunissant vingt-cinq sculpteurs de huit pays européens. Le 4 janvier 1961, il est nommé membre correspondant de la Gesellschaft Bildender Künste de Vienne. En juin 1962, lui est décerné le Prix de la Ville de Schongau (Bavière), attribué par l’Académie d’Alsace, pour son groupe «Fraternité» ou «Rapprochement». Ce prix récompense chaque année un artiste, écrivain, sculpteur, peintre ou historien d’art dont l’ensemble de l’œuvre ou une œuvre isolée caractéristique, exprime l’idée d’un rapprochement entre les peuples voisins.» (11). Dans le groupe présenté par Jean Henninger, les lignes de composition jouent un rôle primordial Il constitue une synthèse des vues esthétiques du sculpteur. «L’art subtil de ce groupe relève de l’art symbolique du geste. Et le geste du «Rapprochement» vient du cœur» conclut Camille Schneider

 

Jean Henninger 31c.jpgPhoto: Guy Marché

La Fraternité

Ou «Rapprochement»

 

 

    Durant trois bonnes décennies, Jean Henninger, qui a marqué de son empreinte la vie artistique alsacienne d’après-guerre, s’est révélé particulièrement productif. Son goût et son talent vont pouvoir se déployer pleinement dans la période de reconstruction consécutive aux énormes dommages causés par les combats acharnés de décembre 1944 à février 1945 dans le nord de l’Alsace et tout particulièrement dans ce qui fut la «Poche de Colmar». Ainsi, Holtzwihr, dont 33 maisons, 200 granges écuries, remises ont été détruites. L’église elle-même s’est entièrement effondrée le 26 janvier 1945.

    De nombreux sanctuaires sont à reconstruire. De ce fait, c’est principalement l’art sacré qui sera le domaine d’expression des architectes et artistes sculpteurs et peintres.

    L’église de Holtzwihr (68) a été reconstruite selon un plan octogonal dû aux architectes Schmitt et Du Cailar. Elle est flanquée d’un clocher campanile. J. Henninger réalise le maître-autel, taillé dans un bloc de grès blanc, surmonté d’une table de marbre noir, placé au centre de la nef. Il est orné de scènes de la vie du Christ et des étapes essentielles de la vie du chrétien. «L’art de Henninger s’y révèle d’une plasticité sobre et expressive, qui ne se noie pas dans le détail, mais s’élève dans une recherche de silencieuse grandeur» (Bulletin du Diocèse de Strasbourg, 1957) Un Chemin de Croix en céramique de grès de Betschdorf est également à mettre à l’actif de Jean Henninger

 

 

Jean Henninger 32c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Maître-Autel

Scènes de la vie du Christ, Holtzwihr

 

 

Jean Henninger 33c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Maître-Autel

Etapes de la vie du Chrétien, Holtzwihr

 

Jean Henninger 34c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Fonds baptismaux

Holtzwihr


Jean Henninger 35c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Chemin de Croix

IVème station, Holtzwihr


Jean Henninger 36c.jpgPhoto: F. Walgenwitz

Chemin de Croix

XIVème station, Holtzwirhr

 

 

    Il a doté l’église Saint-Nicolas de Schirrheim (67), reconstruite en 1949-50, d’une «haute et hiératique figure du Christ au Sacré Cœur» qui se dresse au-dessus du portail d’accès et d’un Christ en Croix entouré de la Vierge Marie, de Sainte Madeleine et de Saint Jean, c’est-à-dire dans son contexte didactique traditionnel. Les autels latéraux sont dédiés à la Vierge et à Saint-Joseph accompagné de l’enfant Jésus

 

Jean Henninger 37c.jpgPhoto: Guy Marché

Crucifixion



Jean Henninger 38c.jpgPhoto: Guy Marché

Vierge Marie

 

 

Jean Henninger 39c.jpgPhoto: Guy Marché

Saint-Joseph et l’Enfant Jésus

 

 

    Pour le village-martyr de Bennnwihr (68), Jean Henninger réalise le très original maître-autel. Le tympan qui surplombe le porche d’entrée de l’église de Rhinau (67), autre village ruiné par les combats de décembre 1944, est dû au ciseau de notre sculpteur. Un redoutable et non moins élégant Saint-Georges y terrasse un dragon.

 

 

Jean Henninger 40c.jpgPhoto: Alice Bommer

Maître-Autel

Bennwihr


Jean Henninger 41c.jpgPhoto: Annette Wolff

Saint-Georges terrassant le Dragon

Rhinau

 

    Pour l’église Notre Dame de Saverne, Jean Heinniger imagine une de ses œuvres les plus singulières, deux médaillons en bronze d’une remarquable esthétique, destinés à orner les deux faces de la porte vitrée de l’église. La première met en scène la parabole du cep de vigne de l’évangile de St-Jean: «Je suis le cep;/ vous êtes les sarments, / Qui demeure en moi et moi en lui, / porte beaucoup de fruits….» Le deuxième médaillon, placé sur le revers de la porte, présente le Christ sortant des limbes avec les élus, en présence de sa mère, assise sur un trône.

 

 

Jean Henninger 42c.jpgPhoto: Guy Marché (SGM)

 

Jean Henninger 43c.jpgPhoto: Guy Marché (SGM)

Poignées de porte

Poignées de porte de l’Eglise de Saverne



    A Erstein (67), la chapelle de l’hôpital associe le décor sculpté de Jean Henninger, une Crucifixion, aux vitraux d’Antoine Heitzmann aux belles dominantes bleues. Un monumental Christ en Croix accueille les fidèles.

 

Jean Henninger 44c.jpgPhoto: Alice Bommer

Christ en Croix

Hôpital d’Erstein

 

 

    Jean Henninger bénéficie de plusieurs commandes de sculptures décoratives destinées à des restaurants ou à des demeures privées. Les monuments aux morts sont un autre domaine de création qui s’offre à lui.

    Dans le cadre du 1% artistique que doit comporter tout projet de construction de bâtiment public, Jean Henninger réalise plusieurs œuvres monumentales décoratives pour des groupes scolaires à Strasbourg et ailleurs, dans le Bas-Rhin. 

Citons:

-       Le mur d’enceinte de l’école maternelle du Quai des Belges à Strasbourg, inspiré de sa propre enfance

-     Le groupe de bronze associant deux enfants en train de lire, dans la cour du groupe scolaire Erckmann-Chatrian à Strasbourg

-       Un décor en sgraffito pour l’école maternelle Vauban

-       Une longue frise en grès qui se déploie sur le mur d’entrée de l’école maternelle de Betschdorf

 

 

Jean Henninger 45c.jpgPhoto: Guy Marché

Frise en grès des Vosges

Quai des Belges, Strasbourg



Jean Henninger 46c.jpgPhoto: archi-wicki.org

La Lecture

Route de Schirmeck, Strasbourg

 

Jean Henninger 47c.jpgPhoto: Guy Marché

La Lecture

Version en bois d’une des deux sculptures de l’Ecole Erckmann-Chatrian

 

 

Jean Henninger 48c.jpgPhoto: Guy Marché

Décor en sgraffito

Ecole maternelle Vauban

 

Jean Henninger 49c.jpgArchives privées

Frise en grès

Betschdorf

 

 

    «Jean Henninger incarne cette période de la reconstruction et des années qui ont suivi où l’artiste est encore un artisan et un créateur, où un savoir-faire cohabite avec une vision de l’art très proche des gens(Bernadette Schnitzler, conservatrice en chef du Musée archéologique de Strasbourg.)

 

Jean Henninger 50c.jpgPhoto: Alice Bommer

Jean Henninger

 

 

    Qui, mieux que ses anciens élèves dont certains sont devenus ses collègues enseignants, serait à même d’évoquer pour nous la personnalité de Jean Henninger? Impressionnés par sa stature qui, de prime abord, imposait le silence, certains se souviennent de sa démarche, de sa cigarette en papier maïs, de la longue cendre qui tombait sur sa chemise à carreaux, mais aussi de son humour malicieux, de son intégrité, de sa bonté. Un homme affable, disponible, d’un abord modeste et généreux.

Il était un des rares artistes-enseignants qui parvenaient à transmettre, par leur charisme personnel et leur parcours professionnel, une énergie créatrice communicative pour leurs élèves, avec, en filigrane, des acquis artisanaux très précieux pour concrétiser. Il était un passeur qui faisait éclore de nouveaux talents. Homo Faber, il se méfiait de trop de théorie. Comme ses collègues, il n’était pas un mandarin, perché sur une estrade…Comme eux, il appliquait l’inusable, l’intemporelle maïeutique socratique, laissant à ses élèves une grande liberté.

 

          Son atelier se situait au N° 58, rue Boecklin à Strasbourg. Il a œuvré dans ce bâtiment de 1953 à 1994, date de son décès.



Manuela Henninger-Loos

 

 

Jean Henninger 51c.jpgPhoto: Guy Marché

Manuela Henninger-Loos

 

 

    Ayant quitté ses ballerines de danseuse-étoile après son mariage avec Jean, Manuela s’adonne à la peinture par passion et pour le plaisir, en autodidacte. Elle expérimente toutes les techniques en commençant par l’huile pour finalement se consacrer entièrement à l’acrylique.

    Elle participe à de nombreuses expositions aux côtés de son époux et d’autres artistes, en France et en Allemagne, notamment à Strasbourg, à la Maison d’Art Alsacienne entre 1967 et 1981. L’exposition de ses œuvres de 1980, connaît un beau succès et est honorée d’une excellente critique: «Sous des dehors modestes, effacés, inquiets presque, Manuela Henninger-Loos cache une âme de poète et une sensibilité vive comme l’eau de roche […] Ce n’est pas la première fois qu’elle nous ravit par ce langage à la fois discret et pourtant éminemment expressif, lyrique même. Ici, ce sont des dessins, des aquarelles, des encres dans lesquels cette artiste développe à la fois un flou romantique et une facture, par le choix des couleurs, par un certain dépouillement, nettement actuelle. Tout ce qui est humain touche Manuela Henninger-Loos et elle le fait comprendre avec ce feu intérieur, cette passion qui sont les marques de l’artiste.»

    Sa thématique, d’abord centrée sur les danseuses, évolue vers la nature, le paysage, les portraits faits de mémoire. «Plutôt grises et presque transparentes qu’il s’agisse d’acrylique, d’aquarelle ou de pastel, les couleurs de Manuela H.- Loos chantent allègrement à d’autres moments, dans toute la richesse d’une palette dont tout ce qui pourrait être criard est néanmoins écarté, si bien que l’ensemble de l’exposition dégage une impression de tendresse et une grande douceur, un peu comme une fête intime et un peu secrète.» (12)

 

Jean Henninger 52c.jpgPhoto: Annette Wolff

Composition


Jean Henninger 53c.jpgPhoto: Annette Wolff

Composition

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

   


-       Robert Heitz (2) – Etapes de l’Art alsacien XIXème et XXème siècles – Saisons d’Alsace N° 47, 1973

-       Gabriel Andrès - L’Art Contemporain en Alsace depuis 1950 – Saisons d’Alsace N° 47, 1973

-       Gabriel Andrès (1) – L’Histoire de l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg – Ed. Do Bentzinger - 2014

-       Gabriel Braeuner – L’Alsace au temps du Reichsland. Un âge d’or culturel – Ed. Belvédère – 2011

-       Gilles Pudlowski – Dictionnaire amoureux de l’Alsace – Ed. Plon, 2010

-       Aimé Dupuy – L’Ecole municipale des Arts Décoratifs de Strasbourg – La Vie en Alsace

-       Camille Schneider () – Jean Henninger, lauréat de l’Académie d’Alsace – DNA, 1962

-       Collectif – personne: Jean Henningerwww.archi-wiki.org

-       Louis Fritsch (10) – Le Groupe de l’œuf, journal d’une expérience – Saisons d’Alsace N°47, 1973

-       Roger Kiehl (6) – A la Maison d’Art Alsacienne: «Salon de l’Oeuf» - DNA, 25/03/1959

-       Roger Kiehl (7) – Exposition du Groupe des Sept à la Maison d’Art Alsacienne –DNA, 1953

-       Témoignage de Madame Kresser-Hirtz (10)

-       André Malraux – La Tête d’obsidienne –Gallimard, 1974

-     Bernadette Schnitzler, conservateur en chef du Musée archéologique (11) – Jean Henninger, sculpteur-statuaire – Musées de la Ville de Strasbourg, 2015

-       Jean Christian (12) - dans les Affiches du moniteur, 18 décembre 1981

 


 

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