Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Lucien Blumer 

(1871 - 1947)



Promoteur de l'originalité culturelle de l'Alsace

Lucien BlumerAutoportrait de l'Artiste dans sa tenue de capitaine Fracasse, (Détail)


   

    Lucien Blumer participe activement à l’affirmation de l’identité alsacienne face au germanisme; il œuvre pour l’autonomie culturelle et la liberté politique. Artiste peintre, d’abord adepte de l’impressionnisme, il se forge une technique accomplie, personnelle, équilibrée et consciencieuse. Excellent photographe, sa curiosité constamment en éveil, il fut un témoin de son temps, rendant compte de nombreux métiers d’artisanat. Viticulteur à Gertwiller, il produit un crû renommé.

C’est l’histoire d’un homme ouvert sur la vie de sa province…

 
    Lucien Blumer est né le 14 octobre 1871  au 11 Quai des Bateliers, à Strasbourg, dans une ville meurtrie.

    L’offensive prussienne de 1870 qui a tôt fait de vaincre les troupes du Second Empire, a gravement endommagé, par d’incessants bombardements entre le 15 août et le 27 septembre, la cathédrale, l’œuvre Notre-Dame, l’Aubette et l’église des Dominicains, réceptacle du très précieux Hortus Deliciarum qui disparut dans les flammes d’un brasier consumant bien d’autres manuscrits, incunables et oeuvres d’art. . Il sera le témoin attentif et inquiet d’une restauration entreprise par les nouveaux maîtres de l’Alsace; celle-ci étant devenue un Reichsland de l’Empire germanique

    Lucien descend d’une famille francophile, d’artisans d’art qui ont, en leur temps, travaillé comme ébénistes au service des rois Louis XV et Louis XVI et ont, plus tard, contribué à remeubler le château des Rohan saccagé pendant la Révolution. Le musée des Arts Décoratifs de Strasbourg conserve une commode et un bureau à cylindre réalisés par son arrière-grand-père, excellent sculpteur d’ornements.

    Une rencontre providentielle: Lothar von Seebach


 Lucien BlumerSeebach en compagnie de Lucien Blumer, vers 1895
© Archives municipales de Strasbourg


    C’est donc dans un milieu familial animé par l’art et la créativité que Lucien Blumer grandit. Et, dès que ses parents décèlent en lui un talent indéniable pour le dessin et la peinture, ils l’encouragent dans cette voie. Comme Cammissar, Welsch  ou Haffen, il entre à l’école de peinture de Lothar von Seebach qui avait installé son atelier dans la vieille tour de la Porte de l’Hôpital. Issu d’une famille noble de Thuringe, possessionnée en Alsace depuis le XVIème siècle, notamment à Osthoffen, Lothar von Seebach fait en 1875, le choix de Strasbourg. Ayant abandonné la peinture d’Histoire qui n’intéressait plus personne, il s’adonne à la peinture de plein air et fait connaître l’impressionnisme français à ses élèves. Dont Lucien Blumer qui profite le plus de l’influence du maître. La similitude de style, parfois frappante, perdurera, en particulier dans les scènes de rues de Strasbourg, Gertwiller et Barr.

    Il est bon de rappeler, ici, le sort qui a  été fait à Lothar von Seebach, ce grand artiste qui est à l’origine de la renaissance de l’art alsacien et qui a approuvé ses élèves dans leur engagement pour une «Heimatskunst».

    Ecoutons Roland Oberlé: «Il faut signaler…que Robert Heitz, redoutable polémiste et membre de l’Action française, avait pris, parmi d’autres, comme cible, son collègue Seebach, qui ne faisait pourtant pas de politique. A tel point que celui-ci se résolut à quitter Strasbourg, ce qui ne manqua pas de navrer Blumer, fidèle disciple. Quand Seebach revient à Strasbourg, en 1923, c’est pour constater que les œuvres qu’il avait léguées aux musées de Strasbourg en 1919, ont toutes été décrochées sur ordre de Hans Haug et reléguées dans des bureaux de l’administration municipale, au grand dam de Blumer et de ses amis des Artistes Indépendants d’Alsace. Ces péripéties peuvent peut-être expliquer que dans la Peinture en Alsace, Heitz expédie Blumer en cinq lignes.»

    En 1895, riche des enseignements de son maître, il décide de poursuivre sa formation dans des académies de peinture. A l’instar d’autres jeunes artistes de sa génération,.il fréquente celle de Karlsruhe de 1895 à 97, puis de 1897 à 99, l’académie Julian à Paris, particulièrement prisée à cette époque. Enfin, il effectue des stages auprès de peintres célèbres tel Eugène Carrière, très lié à Puvis de Chavanne, ce qui peut surprendre car cet artiste de grande notoriété ignore totalement l’impressionnisme bien qu’il ait été influencé par Turner et qui se tourne vers le symbolisme et l’intimisme. Cela peut cependant se comprendre par le fait que Carrière ait eu des attaches avec l’Alsace durant son apprentissage.

    La formation de Lucien Blumer est, à présent, terminée. En 1897, à Strasbourg, dans deux expositions, il produit ce que les critiques considèrent comme son chef d’œuvre le plus abouti: «Les Deux Sœurs», où l’influence de Lothar von Seebach est flagrante. L’année suivante, il envoie au Salon un portrait de jeune femme aux cheveux roux, ce qui n’est pas sans rappeler, encore une fois, son premier maître.

Lucien BlumerLes deux soeurs, 1898 - Huile sur toile

     

    
    Lucien Blumer est, alors, un jeune homme de 27 ans qui entretient son physique. Léon Kieffer le décrit comme «très grand, large d’épaules, imposant à la fois par sa morphologie et une certaine autorité.»  Lucien était chaleureux et cultivé dit Mme Sackenreiter-Zeyssloff. Aussi apprécie-t-il de recevoir, dans son atelier, ses amis docteurs, professeurs, musiciens, archéologues ou peintres comme Luc Hueber, tous dotés de cette «Doppelkultur» qui allie tradition démocratique et modernité et qui est un véritable bouillon de culture qui génère peu à peu une conscience politique alsacienne.

    Il est difficile de vivre de son art à Strasbourg à cette époque, car le marché «est considérablement dégradé à la suite des mouvements d’émigration d’un grand nombre d’Alsaciens aisés vers le France» (Brigitte Wilke).Aussi, Lucien Blumer a-t-il parfois des soucis d’argent, ce qui l’oblige à prendre un locataire et à transporter son atelier au grenier, s’offrant du coup, une vue imprenable sur la terrasse du palais des Rohan et sur le vieux Strasbourg.


Lucien blumer
Portrait de la femme de l'artiste
, Huile sur toile

- Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg -
Photo: Musées Strasbourg


    C’est chez Lothar von Seebach qu’il rencontre sa future épouse, Marie-Thérèse Gasser, «une délicieuse rouquine» selon Brigitte Wilke, un des modèles préférés du maître. Il l’appelle: «Misele», ce qui est un terme affectueux, familier aux époux alsaciens amoureux…Leur entente est parfaite, même s’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. Hélas, le mariage avec la charmante Misele n’est pas du goût de la famille Blumer, sauf de la mère de Lucien à qui celui-ci est très dévoué et qu’il héberge dans la maison familiale de Gertwiller.

            «Lucien Blumer est également viticulteur et son vin n’est pas ce qu’il y a de plus mauvais dans sa production» dit malicieusement Marc Lonossos. Sa maison et son vignoble attirent Blumer à Gertwiller chaque été pour le farniente et chaque automne pour les vendanges et la vinification. Il aime ce village et ne se lasse pas de le représenter sur de nombreuses toiles et de le photographier dans le foisonnement de ses activités. Car il est aussi un photographe hors pair, ce qui est une autre manière, pour lui, de traquer la lumière.

 

Créer une Identité alsacienne

 

            Blumer et les artistes de sa génération vont, sous l’impulsion de Seebach redonner vie à la peinture en Alsace, atone après 1870 pour vingt ans!...Sensibles à l’effervescence provoquée par la situation géopolitique de leur province, ne pouvant être Français, ne voulant devenir Allemands, ils développent cette culture alsacienne qui s’oppose, avant tout, à la fusion, à la politique de germanisation. Il s’agit, littéralement de «créer» une identité alsacienne qui s’avèrera d’ailleurs difficile à définir. Rappelons-nous le mot de Tomi Ungerer: «Les Alsaciens ont plus de cartes d’identité que d’identité!...».

    Déjà, dans les années 1888, Anselme Laugel, farouche francophile, et le marqueteur Charles Spindler, par le biais de l’art populaire alsacien: histoire, costumes, coutumes, qu’ils étudient et font connaître dans «Les Images Alsaciennes», réunissent autour d’eux, dans ce qui deviendra le Cercle de Saint-Léonard, un peintre Léon Hornecker, un sculpteur Alfred Marzolff, un dessinateur Joseph Sattler. Lucien Blumer est proche de ce cercle.

    A cette époque, la mode est aux Stammtisch, moyen pour cette élite culturelle de faire connaître ses travaux, diffuser ses idées. Anselme Laugel, sous le nom de «Dîner des 13», réunit ses relations politiques et ses amis dans le but de  promouvoir l’œuvre de Spindler. Transféré dans les bons restaurants de Strasbourg, ce dîner devient le Kunschthafe, le plus célèbre des Stammtisch!....

    Il devient le centre de décision incontournable de la vie artistique alsacienne. Là sont discutées: la création de la Revue Alsacienne Illustrée, la création du Musée Alsacien, celle du salon des Arts de la Revue Alsacienne chez Bader-Nottin, marchand d’art (23, rue de la Nuée Bleue) et du théâtre alsacien. La Revue Alsacienne Illustrée peut être considérée comme l’organe officiel de la culture alsacienne naissante. «Cette revue est l’œuvre d’artistes et d’amateurs. Elle veut rassembler les détails familiers de notre vie passée, parler de nos morts illustres, signaler à l’attention publique nos artistes, nos savants, nos écrivains, donner un tableau de l’activité de l’Alsace.» (Arnaud Weber) Avec en filigrane, la recherche de l’autonomie culturelle et de la liberté politique. La francophilie affirmée de Laugel y est pour quelque chose.

    L’irrésistible pouvoir attractif d’un tel dynamisme va agrandir le cercle par Paul Braunagel, Henri Loux, Léon Schnug, Emile Schneider, Lucien Blumer….mais aussi les conservateurs, Binder et Seyboth, le musicien Jean-Marie  Erb, ainsi que des invités de passage tel René Bazin. Lucien Blumer est assidu aux agapes du Schloessel, sanctuaire du Kunschthafe, tenu par l’accueillante famille d’Auguste Michel.

    Stoskopf et Spindler sont, en outre, les instigateurs d’une Maison d’Art Alsacienne, au 6, rue Brûlée qui va se substituer au salon Bader-Nottin. Sa vocation est de conserver, préserver l’art alsacien, mettre en contact le public avec les objets de la vie quotidienne fabriqués par des artistes. On pense aux créations du marqueteur de Saint Léonard dont l’œuvre s’inscrit dans le vaste mouvement artistique qui, dans le tournant du siècle, se propage en Europe sous les vocables bien connus d’Art Nouveau, de Jugendstil, de Sécession, de Modern Style…

    Emanation du «Verband Strasburger Künstler», crée en 1897, à l’initiative du groupe de Saint Léonard, l’Association des Artistes Indépendants d’Alsace (AIDA), se constitue en 1918. Elle dispose, depuis 1905, de la Maison d’Art Alsacienne. Succédant à Stoskopf, Lucien Blumer en devient le président en 1919. En tant que tel, il lui incombe d’organiser le bal annuel des artistes. A lui aussi de donner le coup d’envoi, déguisé en capitaine Fracasse, personnage qu’il affectionne particulièrement. Plus sérieusement, il cherche à favoriser l’ouverture de l’Alsace à ses voisins, à la suite de la fusion des écoles de peinture de Strasbourg, Nancy et Besançon. Avec le retour de la paix, des groupements s’organisent. En 1920, le Salon d’Automne accueille les artistes alsaciens, dont ceux qui venaient de former le Groupe de Mai. Par ailleurs, le président Blumer ambitionne pour Strasbourg, l’organisation d’expositions d’art internationales, projet qui n’aboutira pas de son vivant.

 

" Un métier sûr, une technique de tout repos, ni moderne, ni classique "

 

     Ayant été l’élève de Lothar von Seebach, les œuvres de la première période de Lucien Blumer sont très nettement influencées par la manière du maître. Certaines frôlent même le mimétisme… Elles livrent une vision subjective qui fait vibrer, sous la lumière, les couleurs, les reflets, les nuances qui deviennent les véritables thèmes. Surtout sensible dans les paysages, la touche impressionniste se traduit par des atmosphères parlantes où se lisent aisément la sérénité, la quiétude. Lumière tamisée, transparences, nuances délicates sont servies par une palette sobre dans les paysages urbains d’hiver, plus nettement colorée dans les paysages champêtres, endroits souvent anodins, à l’image de ceux de l’école de Barbizon.

    Selon Me François Lotz: «Les critiques relevèrent des toiles qui auraient tout aussi bien pu être signées par Seebach. Cette tendance correspond, à peu près, à la moitié de la période d’activité de Blumer. Et on peut dire qu’il s’agit de sa meilleure période.» Plus tard, selon Robert Heitz, Blumer «passe à une peinture plus lourde, aux couleurs plus vives, aux contrastes plus accentués, abandonnant ainsi le style en demi-tons de Seebach.»

Lucien BlumerLa maison Brenner à Gertwiller, 1929

    Et là, certains critiques se sont montrés sévères  à l’égard de Blumer. En 1923, le docteur Barry écrit: «Monsieur Blumer a eu la mauvaise idée de choisir pour le représenter deux toiles fort médiocres, et dont il vaut mieux ne rien dire pour ce qu’elles peuvent donner une idée fausse de son mérite.» Donc mérite il y a. tout de même!…Pourtant, en 1926, R. Schneider enfonce le clou: «Blumer, qui s’est donné beaucoup de mal pour finir de peindre ses oignons, radis et marrons, demeure décidément timoré et dépendant….On n’enregistre pas la moindre ébauche de tonalité. Il manque ici la bonne technique de l’aquarelle. Cela résulte du manque de liberté qui se fait sentir de façon gênante.»

    Au verdict de ces détracteurs, Marc Lenossos oppose une analyse plus nuancée, à propos d’une affiche des chemins de fer représentant le Mont Sainte Odile: «Comme peintre, il possédait un métier sûr, une technique de tout repos, ni moderne, ni classique.»

  

    Durant le demi siècle de son activité, Lucien Blumer a participé à de nombreuses expositions, à Strasbourg, notamment à la Maison d’Art Alsacienne, mais aussi à Mulhouse, à Paris au Salon d’Automne et en Allemagne à Berlin, Cologne, Karlsruhe, Stuttgart, au début de sa carrière. La plus importante, parce que la plus émouvante fut celle de 1946, neuf mois avant sa mort à laquelle Blumer se rendit, à demi paralysé. Ce fut pour le critique Marc Lenossos, devenu ami, un événement chargé d’émotion: «Ceux de notre génération et ceux qui dépassent la cinquantaine étaient réellement émus à l’occasion de ce vernissage. Ce n’était point seulement le film émouvant d’une existence d’homme, de son labeur quotidien, de ses efforts et de ses réussites qui leur étaient présenté. C’était toute une époque qui revivait pour nous dans les cinq salles de la Maison d’Art Alsacienne.»

Sources:

- Roland OBERLE – Lucien Blumer, un maître de l’Impressionnisme – Editions Hirlé – Strasbourg - 2010

- Me François LOTZ – Lucien Blumer – Artistes peintres alsaciens de jadis et naguère (1880-1982) – Editions Printek – Kaysersberg - 1987

- Marc LENOSSOS – Lucien Blumer, physionomie d’artiste – La Vie en Alsace - 1929

- Hélène BRAEUNER – Les peintres et l’Alsace, autour de l’Impressionnisme – Editions, La Renaissance du Livre - 2003

- Robert HEITZ – Etapes de l’Art alsacien, 19ème et 20ème siècles – Saisons d’Alsace N° 47

- Brigitte WILKE – Les travaux et les Jours, Lothar von Seebach – Editions La Nuée Bleue - 2003



Crédits photographiques:

- Lionel HIRLE et Muriel CHACON - (Editions HIRLE)




Portfolio

Lucien Blumer
Illustration pour les chemins de fer d'Alsace et de Lorraine


Lucien Blumer
Le quai des bateliers sous la neige
- Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg -
Photo: Musées Strasbourg




Lucien Blumer
Le pont du corbeau sous la neige
- Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg -
Photo: Musées Strasbourg



Lucien Blumer
Le marché de Barr


Lucien Blumer
Ferme d'Alsace


Lucien Blumer
Rue principale de Gertwiller sous la neige


Lucien Blumer
Arrière-cour


Lucien Blumer
La route de Barr


Lucien Blumer
Sous la lampe


Lucien Blumer
Jeune fille au canotier


Lucien Blumer
Femme en buste - Pointe sèche
- Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg -
Photo: Musées Strasbourg



Lucien Blumer
Bouquet


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