Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Alfred Giess 

(1901-1973)


Alfred Giess
Marie au bouquet, 1951 - Champlitte - Huile sur toile (60 x 73 cm) - Collection privée
© Pierre Guénat

    «L’homme n’a jamais aimé parler de sa peinture. Académicien, il déclare en 1956 «il m’a toujours paru superflu de disséquer une œuvre plastique avec des mots, alors qu’elle est créée pour se traduire à nous par une faculté psychique, qui ordonne le silence!» Homme simple, mais artiste comblé d’honneurs, il cache ainsi sa modestie et sa propre difficulté à paraphraser son art dans une époque où ses condisciples sont très loquaces. Sa peinture s’offre à la délectation, simplement et dans détours. Elle ne recèle ni quête de la transcendance, ni provocation esthétique, son discours, en quelque sorte «naturel», interdit effectivement le bavardage. Le temps a passé et l’œuvre est aujourd’hui dispersée dans le monde entier. Il nous reste malgré tout les mots pour la faire revivre.» (*)

    Si, pour sacrifier au rite de l’analyse, sans tomber dans la dissection létale, il faut choisir une œuvre à brandir en exergue, c’est indéniablement «Marie au Bouquet» qui s’est imposée.

    Ce tableau qui allie le portrait au bouquet illustre parfaitement l’assertion de Georges Mathieu: «L’identité de la terre et de la femme, dans la fécondité nourricière, c’est la clé de l’âme et de l’art de Giess.»

    Marie, la femme aimée, la compagne idéale n’est pas représentée ici, elle est présente réellement avec toute la force de la vie et du sentiment; le regard tourné vers la quiétude du moment ou le film d’une vie heureuse qui défile…Le bonheur, donc, délicatement suggéré par un sourire indicible.

    Le bouquet, l’esthétique émanant de la terre qui nourrit également l’œil, symbole de la fonction pédagogique que la nature exerce sur l’artiste.

    Autre symbole: les gants. Leur qualité de peau, leur apparente souplesse, leurs nuances de beige et de crème, sont admirablement rendues. Nous retrouvons là, la marque d’un art objectif, intemporel, raffiné. Ils témoignent de l’élégance qui a toujours distingué Marie.

    Par ce tableau particulièrement, Alfred Giess s’avère être un portraitiste d’une infaillible sagacité psychologique. Sa maîtrise, dans ce domaine éminemment difficile, prouve que la perfection est bel et bien de ce monde!...

    Quant au bouquet, il porte  éloquemment la marque d’Alfred Giess par la précision du trait ce qui atteste l’attachement du peintre à sa formation d’origine, celle de dessinateur textile. Les couleurs, disposées pour une agréable synergie, se renforcent. Leur pureté et leur fraîcheur baignent dans une lumière «toujours fine (qui) inonde son monde sans ombres vaines.» (*)

    La transcendance de l’homme par rapport au monde naturel, c'est-à-dire, son accession à l’esprit, à la liberté, demeure un mystère. De même, le passage de la matière inerte de la couleur et du trait à la manifestation de la vie est une énigme. A quel moment précis le portraitiste devient-il démiurge?  Alfred Giess est un de ces magiciens qui font jaillir l’esprit.

 

(*) B. Bruant «Itinéraire d’un Grand Prix de Rome» - 2003

   







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