Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Alfred & Daniel Selig 


Une émouvante confrontation.


                Alfred Selig 43b
       Daniel Selig 1
Alfred Selig
© F. Selig
Autoportrait de Daniel Selig
1960 - Plume et lavis à l'encre
(27 x 21 cm)
© F. Selig
    

    

    C’est l’histoire étonnante et émouvante d’un père et de son fils, artistes peintres reconnus. Alors que l’un fut le premier guide de l’autre, ils ont suivi des chemins diamétralement opposés, tant les divergences sont grandes dans leur style et leurs sources d’inspiration. Cependant, de tempérament très proche, attachés à leur liberté, ils ont vécu en bonne entente, cultivant une connivence fondée sur une estime mutuelle.

    Daniel Selig est né à Colmar, le 15 mai 1942. Sa mère, née Marguerite Hilfiger, est la fille du parfumeur Meinrad Hilfiger, coiffeur et gantier établi à l’angle de la rue des Juifs, aujourd’hui, rue Berthe Molly et de la rue Corberon. Son père, Alfred, né le 7 janvier 1907 à Colmar, apprend très jeune le métier de peintre à l’Ecole pratique des Arts appliqués de Colmar, nouvellement créée qu’il fréquente de 1923 à 1926. Il est l’élève de l’excellent dessinateur, Alphonse Klebaur (1884-1970).



Alfred Selig: un remarquable témoin du patrimoine Alsacien

    

    De 1926 à 1929, Alfred Selig suit les cours de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris et s’inscrit à l’Ecole supérieure de dessin ainsi qu’à l’Académie Colarossi. Pendant cette période il entreprend des voyages d’études à Munich, aux Pays-Bas, dans le sud de la France, en Italie, voyages qu’il poursuivra tout au long de sa carrière. Il effectue son service militaire en Tunisie d’où il rapporte, en 1932, des œuvres remarquables, sans doute les meilleures de sa production. Ce sont des huiles et des aquarelles orientalistes. Les ombres et les lumières de ses paysages et de ses scènes de genre sont réparties au couteau avec une pâte généreuse. Allant à l’essentiel, Alfred Selig leur confère une simplification que ne renieraient pas les nabis…Ces peintures et esquisses de voyage reflètent une liberté d’expression dont témoigne Bizerte (1930)


 Alfred Selig 44Bizerte, Tunisie - 1930 - Huile sur toile (24 x 33 cm)
© F. Selig

     

   
    Après son service militaire, il revient à Colmar où il ouvre un atelier d’art et de décoration qu’il maintient en activité jusqu’à son décès en 1974.  A partir de1936, il intègre le monde de l’art appliqué. Il devient l’adjoint de Léon Stein au Théâtre municipal de Colmar. En 1938, il lui succède comme maquettiste, décorateur et directeur technique du théâtre. Il y effectuera toute sa carrière jusqu’en 1970 quand sonnera l’heure de la retraite. Francis Gueth et Fabienne Schweitzer rappellent que durant cette période il créa de nombreux décors de théâtre, des costumes, des programmes et des affiches pour le Théâtre de Colmar, mais aussi pour l’Opéra de Strasbourg, pour le syndicat d’initiative  de sa ville et pour les viticulteurs. Il s’exprime aussi bien dans le petit format que dans le très grand. Il effectue des décors intérieurs pour plusieurs bâtiments: l’école de Pulversheim, l’hôtel Terminus à Colmar, celui de la Cigogne à Munster…le Museum d’Histoire Naturelle de Colmar…Il a beaucoup œuvré pour la Foire aux Vins de Colmar (le «Village alsacien», plusieurs stands d’exposition).

    Pour autant, il n’abandonne pas son activité d’artiste peintre et de graveur: il réalise des huiles et des aquarelles. Si dans sa jeunesse il peignit surtout des fleurs, puis des natures mortes et des nus, ses thèmes de prédilections sont, par la suite, la nature, les Vosges en toute saison, les villages alsaciens, les lieux pittoresques des Vosges. Travaillant sur le motif, il devient un remarquable témoin du patrimoine régional.



Alfred Selig 45
Le Frankenbourg - 1957 - Huile sur toile
(65 x 81 cm)
© F. Selig

    

    Il excelle aussi dans les travaux graphiques, essentiellement la lithographie. Les bibliophiles apprécient sa série de sept lithographies «Terre d’Alsace» (1950) qui présentent, entre autres, la petite chapelle votive de Kaysersberg, les remparts de Thann, le clocher vrillé de Niedermorschwihr, les ruines et les rochers d’Obersteinbach, la romantique…Citons également les douze lithos de Ribeauvillé réalisées avec son ancien professeur, Alphonse Klebaur et Jehanne Schira, ses amis. N’oublions pas la série exhaustive de dessins des ruines des châteaux forts alsaciens que la bibliothèque de Colmar a achetés

    Il participe à l’illustration de divers ouvrages. Il réalise une cinquantaine d’affiches dont beaucoup sont conservées à la Bibliothèque des Dominicains de Colmar. Ses quarante ex-libris sont appréciés des collectionneurs pour la vigueur de leur dessin, la qualité de leur composition, l’originalité des sujets. Ils ont été souvent primés.


Alfred Selig 46Ex-libris - Gravure sur bois
© F. Walgenwitz



    

    Il adhère à plusieurs associations artistiques régionales: l’AIDA (Association des Artistes Indépendants d’Alsace) dont il fut membre fondateur, le Cercle des Arts de Colmar dont il fut co-fondateur et vice-président, la Société Schongauer de Colmar, l’Académie d’Alsace…En conséquence, il participe à de nombreuses expositions collectives à Colmar et à Strasbourg avec Jehanne Schira, François Fleckinger, Paul Blazi, Arthur Boxler, Charles Zeyssolff. Il organise également des expositions individuelles, notamment avec son fils Daniel en 1960, 1970, 1971, et 1973. Après son décès en 1974, la ville de Colmar a rendu hommage à son œuvre par deux expositions rétrospectives en 1975. Sa belle-fille Françoise Selig organisa plusieurs autres expositions consacrées à Alfred et Daniel, notamment à Colmar en 1978, 1979 et 1982, aux Trois Epis, à Eguisheim et à Metz en 1993.

    Son intense activité au lycée technique de Colmar lui valut d’être distingué des Palmes académiques. Il était, par ailleurs, titualaire de la médaille de la Résistance Française. Sa peinture a été récompensée par le Grand Prix international de peinture de Deauville en 1965 et la même année par le 1er Grand Prix de la Côte d’Azur. De ses œuvres ont été acquises par les musées de Colmar et de Strasbourg ainsi que par les bibliothèques municipales de Colmar et de Mulhouse

    Alfred Selig est resté hors de tout système «Il ignore les amours de rencontre» dit très justement Roger Kiehl. Le solide métier acquis aux Beaux-Arts de Paris, son sens aigu de l’observation, sa sensibilité poétique, son tempérament fougueux lui valent d’être reconnu. Il est notamment recherché pour l’ambiance juste de ses paysages: l’âpreté de la montagne, la mélancolie d’un sous-bois, l’atmosphère d’un orage, l’angoissante vision d’un sommet neigeux… pour la vigueur de ses aquarelles traitées en prise directe qui sont d’une rare spontanéité et pour l’élégance et la vérité de ses coloris adaptés au sujet: puissance du «Hohneck»,  subtilité des nuages dans «La Mare», éclairage cru dans «Colmar sous l’orage»…



Père et fils unis dans la même passion

    Quel bel exemple pour le petit Daniel. Ses premiers pas le conduisent, instinctivement, à «s’accrocher aux pattes des chevalets, de jouer avec les pinceaux de papa  avant de réaliser des fresques qui devaient tout à l’art brut sur les murs de sa chambre d’enfant. Mais, trêve de plaisanterie, dit l’auteur de l’article de presse, un peintre a engendré un autre peintre!...». De fait, Daniel grandit dans un contexte des plus favorables. Mais, au commencement il y a une hospitalisation! A six ans, il est atteint d’une diphtérie. Pour le distraire, ses parents lui offrent une boîte de couleurs. Et «c’est tout naturellement qu’il s’essaie à la peinture de grand format  en barbouillant la couette de lit comme une toile géante.» (1)

    Convaincu d’une vocation naissante, son père lui installe un chevalet dans son immense atelier. Là, chacun dans son espace réservé, le père et le fils travaillent, ou plutôt s’adonnent à leur plaisir en toute liberté. Certes le jeune enfant s’imprègne du savoir-faire de son géniteur, sans qu’on puisse en conclure qu’il fut son maître. Il joue assurément le rôle de catalyseur, ce qui fait dire à certains que Dany est un autodidacte…


A dix-huit ans, un 1er Grand Prix !

    Son engouement pour la peinture ne l’empêche pas de poursuivre de brillantes études de médecine après avoir été «à bonne école» au célèbre lycée Kleber. Et ce, à l’instigation de sa maman qui estime qu’un artiste dans la famille, ça suffit!... «La peinture ne nourrit plus son homme à l’heure actuelle…»Pour autant, le père ne reste pas en retrait qui encourage son fils à participer aux expositions auxquelles il s’inscrit lui-même. Alors qu’il est encore étudiant, ils se présentent ensemble au Grand prix de Deauville. Daniel qui a dix-huit ans, et vient de réussir brillamment son baccalauréat, est, à sa grande surprise sélectionné  avec une gouache abstraite. Ecoutons-le exprimer son étonnement et son ravissement au journaliste des Dernières Nouvelles de Colmar venu l’interviewer  «Certes, je ne m’y attendais pas. J’avais envoyé à tout hasard une gouache intitulée «Le Marin ivre» de composition abstraite à la galerie René Borel de Deauville où avait lieu au mois d’août la 11ème exposition internationale de peinture. Et puis, soudain, ce fut l’heureuse nouvelle; j’étais retenu avec quelques rares privilégiés pour la finale…Et, par la même occasion, invité à participer à la grande exposition internationale qui se déroulera en Septembre à Copenhague.»

    En 1965, une huile sur toile «Aux Alentours de l’Espoir» est récompensée du 1er  Grand Prix de peinture de la Côte d’Azur, une œuvre dont «l’harmonie du coloris égale la perfection de la recherche» affirme le Président du jury. La même année, «Evocation antique» lui ouvre les portes de la grande finale internationale de Deauville à New-York. Il y expose avec son père, au milieu de 157 artistes venus de 21 pays. Une autre toile abstraite «Lumière sous-entendue» lui vaut la même année le 2ème Grand Prix internationale de Deauville.



Daniel Selig 2
Evocation Antique - 1963 - Huile sur toile (65x92cm)
© F. Walgenwitz



Daniel Selig 3
Lumière sous-entendue - 1964 - Huile sur toile (54x65cm)
© F. Selig



Daniel Selig 4
Aux alentours de l'Espoir - 1965 - Huile sur toile (64x84cm)
© F. Walgenwitz



    Daniel vient de vivre là un véritable adoubement. Et la participation régulière aux expositions internationales qui s’ensuivent le confirme dans sa voie. Il sait qu’il peut désormais poursuivre ses études tout en assouvissant sa passion: la peinture. Ses études de médecine menées à bien il installe son cabinet d’allergologue à proximité immédiate du théâtre municipal de Colmar. Le 2 décembre 1967, il épouse Françoise Haumesser qui sera sa muse, sa complice, sa public relation… Elle est originaire de Holtzwihr où le couple se rend souvent, le week-end. Daniel peint le samedi – pour ne pas être taxé de peintre du… dimanche - Elle lui donnera  en 1978, une fille, Catherine qui se lancera dans la création de parfums perpétuant ainsi la tradition familiale initiée par son arrière-grand-père Meinrad Hilfiger. (En 2010, elle crée une fragrance «racontant le Sud», baptisée «Evocation antique»,  beau témoignage d’un profond amour filial.)



Françoise et Daniel, un couple lumineux.
   

    

    Françoise et Daniel, «couple lumineux» fréquentent les salles de concert, les théâtres, aiment le jazz classique de l’époque: Miles Davis, Oscar Peterson, Duke Ellington, Dizzie Gillespie. Ils voyagent beaucoup. «Ah, les voyages avec Daniel! C’étaient d’abord des heures et des heures d’exigeantes et fatigantes découvertes. Dans une ville, ce n’était pas un musée mais tous les musées, ce n’était pas telle ou telle facette d’un artiste qu’il nous invitait à découvrir, c’était l’homme complet… Infatigable, insatiable, intarissable, incollable!...Il fallait souffrir avant d’accéder au paradis, au bon restaurant qu’il célébrait avec la même gourmandise que celle qui avait précédé sa longue marche vers la connaissance.»

    Il aime lire. Sa bibliothèque est révélatrice de son art. Lire les livres qu’il lisait, réciter les poésies qu’il aimait, écouter sa musique est indispensable pour le comprendre. Sur ses étagères trônent Henry Miller, Boris Vian, Pauwels et Bergier, Le Matin des magiciens, Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme, Georgio de Chirico, Hebdomeros, Léonor Fini, André Breton, Ernst Fuchs, son maître…




1974, fondation du Groupe Art Recherche

    En 1974, il fonde avec Marcel Helfer, Frédéric Schicke et Paul Flickinger le «Groupe Art Recherche» - le GAR.-. La plaquette éditée à l’occasion de l’exposition à l’Institut français de Vienne, la ville d’Ernst Fuchs qui soutient cette démarche précise: «Ce groupe d’artistes ne s’est pas constitué autour d’un programme ou d’un manifeste. Il est composé d’artistes peintres, sculpteurs, céramistes qui, issus de l’association colmarienne «Cercle des Arts», se sentant des affinités et, s’étant tous, dans leurs travaux, éloignés de l’art traditionnel, mais chacun à sa manière, ont décidé de se regrouper pour organiser en commun des expositions de groupe (…)

    Bien que chacun des artistes du groupe suive sa propre voie en restant fidèle à sa thématique personnelle, un besoin commun de recherche, d’avancer vers de nouvelles expressions les réunit. Les travaux de ces artistes sont tous plus ou moins emprunts d’imaginaire; aussi bien les productions figuratives stylisées ou «surréalisantes» que les abstraites. L’imaginaire, de nos jours, est bel et bien l’une des rares portes encore ouvertes aux chercheurs en art (…). Seule l’imagination est sans limite…»

    En 1960, Daniel Selig se fait connaître par une œuvre abstraite.  Si, alors, on lui avait posé la question habituelle des critiques: «Comment en êtes-vous arrivé là?», il aurait répondu: «Mais, je suis parti de là!...» En effet, s’il a parcouru l’histoire de l’art au moyen de ses lectures et de ses visites de musées, il a d’emblée opté pour le mode d’expression de son temps. Pourquoi? Voilà la question…ô combien difficile. Marcel Brion, de l’Académie française, préfacier de l’ouvrage autobiographique d’Ernst Fuchs met en garde le critique qui oserait la réponse péremptoire: «Il est toujours arbitraire  et souvent absurde lorsqu’on se laisse conduire les yeux fermés par l’esprit de système, d’essayer de rendre compte des voies suivies par la création, ses tours et détours, ses impasses et ses chausse-trapes. L’œuvre d’art ne gagne rien à être explorée par de semblables méthodes dont les démarches sont fréquemment d’une enfantine naïveté. Rien ne dirige plus efficacement  l’approche de l’œuvre d’art que le précepte taoïste  de Tchouang-Tseu: vomis ton intelligence….» A l’instar de celles de Fuchs, les oeuvres de Daniel Selig ne doivent pas être mises à l’épreuve de la pierre de touche de l’intellect. «Tout au contraire doit-on les aborder dans la région sub-logique où elles demeurent…»

    La plus élémentaire prudence nous commande de partir de ce que Daniel Selig a dit, lui-même, de son art. Or, la plaquette de l’exposition viennoise du GAR à laquelle il a amplement contribué, nous livre une clé essentielle; le principe de base de son art: l’imagination! «Tout a été fait, toutes les techniques ont été essayées, seule l’imagination est sans limite.», cette imagination qui a été érigée en droit par Albert Thomas et Robert Heitz, de la génération précédente, créateurs du Groupe de la Barque en 1930, animés par la volonté de sortir du cadre régional…


" Sur les chemins tournant du sous-sol de l'inconscient "


   
Ce choix lui est strictement personnel et ne doit rien aux thèses habituelles comme celle d’Henri Laborit qui affirme que l’art abstrait est une manière de fuir un réel peu gratifiant vers un imaginaire apaisant. L’imaginaire de Daniel Selig, nourri de ses rêves, des intuitions, des illuminations qu’il croise dans «les chemins tournants du sous-sol de l’inconscient»,  (5), crée une mythologie qui lui est propre, une mythologie qui n’a pas d’antécédents, où le formel côtoie l’informel, une mythologie brassée par le foulon culturel de ses lectures, de ses visites de musées qui influent sur son style, ni sur sa technique mais qui activent son esprit et le confortent dans sa vision de l’art.

    Ainsi, et tout d’abord, l’œuvre de Georges Mathieu et son credo qu’il a exprimé dans son discours d’installation du peintre alsacien Alfred Giess à l’Académie des Beaux-Arts, en 1976 où il justifie son art par «cette immense soif d’aventure, de conquête, de liberté (qui) est plus que jamais en nous» dont l’esprit se vivifie de l’intérieur et qui s’exprime dans l’abstraction lyrique. Où le rôle de l’imagination et de la spontanéité se révèle essentiel parce qu’il accorde un droit de cité total à l’improvisation, à l’inconnu et au risque.

    Ainsi, également, le paysagisme abstrait de Maria Elena Vieira da Silva et ses ambiguïtés spatiales, «allégories d’une quête éternelle de connaissance et d’absolu», Ainsi, les rêves «photographiés» de Salvador Dali, son univers métaphysique peuplé de visions fiévreuses et de psychoses de terreur, ses rencontres paradoxales voire absurdes…

    Ainsi la poésie surréaliste que Daniel Selig apprécie comme un «refuge des puissances souterraines de la conscience, des forces psychologiques non domestiquées.».(6) Il l’estime parce qu’elle exige une liberté totale inconditionnelle, parce qu’elle se lance à corps perdu dans l’inconnu, son principe actif étant l’automatisme psychique, dictée de la pensée libérée de toute préoccupation esthétique et morale. Il apprécie sa spontanéité, l’absence de contrôle dans sa genèse. Il a sûrement aimé «Le Sens magique» de Malkolm de Chazal, et «LesEspaces de Sommeil» de Robert Desnos. Mais, c’est Joyce Mansour qui l’a le plus marqué puisqu’elle lui a inspiré les… «Machinations aveugles».


Daniel Selig 5

Les machinations Aveugles - 1968 - Huile sur toile (65x54cm) 
© F. Walgenwitz



    Il ressent une empathie certaine pour Giorgio de Chirico, sa «peinture métaphysique» sa découverte des forces motrices secrètes de l’angoisse métaphysique, née de la combinaison d’objets connus mais placés dans une ambiance surréelle, la mélancolie et le calme mystérieux de ses places où l’homme n’apparaît que sous forme d’ombres et surtout son «Hebdomeros» qu’il a lu (et moi, longtemps après lui…): le fantôme paisible, le spectre lumineux de Georgio de Chirico. Un livre qui exige qu’on le «regarde» ainsi qu’on regarde un tableau, «Hebdomeros qui a fait graver au pied de son lit une image de Mercure oneiropompe, c’est-à-dire conducteur de rêves. Si bien que les nuits, le visage plongé dans les mains, il voyait le mur du fond qui s’ouvre comme le rideau d’un théâtre et alors, apparaissaient des spectacles tantôt effrayants, tantôt sublimes ou charmants: les rêves.».(4) Daniel Selig en a fait un tableau remarquable…

    Enfin Daniel Selig cultive une admiration sans bornes et sans fin pour l’extraordinaire Ernst Fuchs, un homme d’une sensibilité hors normes, d’une intelligence lumineuse, limpide. Il partage et fait siennes les idées de Fuchs qu’il rencontre le 3 novembre 1980, à Vienne, en Autriche où il expose avec son Groupe Art Recherche au Centre International de l’ONU, puis en mars – avril 1981 pour l’inauguration des locaux de l’Institut français de Vienne, au palais Clam Gallas. Deux dates, deux événements de première importance dans la vie artistique de Daniel Selig. Fuchs, reconnu internationalement pour son œuvre et pour son Ecole viennoise du réalisme fantastique, lui apporte son soutien. Fuchs, qui, entraîné dans l’espace obscur de la Psyché, se laissait emporter vers des motifs inconnus qui cherchaient à s’exprimer et qui développaient cet automatisme qui caractérise le surréalisme, Fuchs qui, plongé dans les profondeurs encore inconnues de son imagination, considérait, lui aussi, le rêve en tant que dictée poétique, Fuchs, enfin, en qui les images surgissaient sans ébauche préalable, sans plan et qui travaillait spontanément, ce qui excluait toute préparation.


Alors qu'en est-il de l'oeuvre de Daniel Selig ?


    La toile «Le Marin ivre», de facture abstraite, expression de graphisme linéaire, témoigne d’une recherche de composition faite d’une expérience jugée au-dessus de son âge. Cette œuvre affirme son tempérament et annonce son penchant vers le surréalisme. L’art abstrait qui l’a révélé à la critique sera effectivement pour lui un domaine de recherche fructueux. Sa palette, d’abord réduite au quasi camaïeu d’ «Evocation antique» et de «Lumière sous-entendue», qui porte bien son nom, s’enrichit d’un coloris plus varié avec «Aux Alentours de l’Espoir», mais encore lourd et chargé, un tableau structuré de «traits tracés au noir dans une ambiance de notation calligraphique, presque musicale.» (1). Ensuite, Daniel Selig aboutit à des contrastes lumineux du plus bel effet avec «Dans les plaines nocturnes le feu cherche l’aurore» (1965) de facture inédite. Tandis qu’«A l’horizon des fièvres volcaniques» (1967) exprime un dynamisme qui rappelle celui de Georges Mathieu, allié à un savant équilibre des couleurs.




Daniel Selig 6A l'horizon des fièvres volcaniques - 1967 - Huile sur toile - (64x84cm)
© F. Walgenwitz



    Dans les années 70, ses œuvres abstraites évoluent vers une affirmation de plus en plus frappante de sa personnalité. Dans «Féroce et baroque», la structure est assurée par la couleur elle-même et dans «L’Unique Lumière», par un discret cloisonnement de ses arabesques. L’abstraction lyrique de Daniel Selig, appuyée par des appellations évocatrices, ira vers une exubérance bien accueillie par les critiques avec «Foisonnement» (1977) et «Vitalité limpide» (1980). Elle atteindra aussi une élégance unanimement saluée dans ses très esthétiques aquarelles qui sont à placer à part dans les possibilités d’expression de Daniel Selig.



Daniel Selig 7
Féroce et baroque - 1970 - Huile sur toile (116x89cm) 
© F. Selig


    Mais les recherches dans l’expression de son art se poursuivent aussi et surtout dans sa peinture figurative à caractère surréaliste plus récente et plus profondément explorée.    Nanti du très riche fonds culturel puisé chez Georges Mathieu, Marx Ernst, Salvador Dali, Giorgio de Chirico, André Breton, Ernst Fuchs…et, forcément influencé par sa formation de médecin, Daniel Selig s’engage dans un surréalisme qui surprend et heurte les spectateurs par ses compositions tourmentées. Notamment par sa toile présentée en 1968: «Toi, la Nuit», remarquée pour son réalisme aigu  et son symbolisme ésotérique apparentés à Dali. «Sur fond bleu noir, ce corps en décomposition, squelette d’une part, nerfs d’autre part, attitude orgueilleuse encore de la tête, s’impose par son lugubre attrait. D’autre part, sortant d’une draperie rouge, deux mains tiennent un œuf, germe d’un être de vie: mort et résurrection! L’œuvre est ardente et douloureuse, le dessin acéré et les couleurs réalistes visent à l’introspection. Inspiration médicale et philosophique, à la fois.» Ce n’est pas peu en conclut le critique de «L’Alsace».



Daniel Selig 8
Toi, la Nuit - 1968 - Huile sur toile (105x89cm) 
© F. walgenwitz


    Certains aspects déconcertent  un public qui ne saisit pas très bien les audaces du créateur. On parle de réalisme outré, de compositions insoutenables, de teintes vénéneuses…. C’est que Daniel Selig, de par sa formation médicale, est, indéniablement orienté vers des recherches anatomiques. La lecture de ses œuvres demande un temps d’imprégnation, de méditation, ce sont des œuvres qui donnent à réfléchir, qui forcent à réfléchir! C’est que «Daniel Selig ne cache pas les choses sous des rubans, des guirlandes ou des bouquets de fleurs innocentes. Chez lui, la forme violente devient source de fantastique. Elle inquiète et trouble l’homme» (3)

    Surréaliste, Daniel Selig cherche à exprimer les fluctuations de l’inconscient. La réalité devient mythe, magie. Le rêve prend la place du réel et le transcende par la poésie. La genèse de ses tableaux doit tout à la spontanéité, à l’absence de contrôle. Daniel Selig se place devant une toile vierge, trace l’ébauche d’une esquisse qui, petit à petit, prend forme et sens, à la manière d’un «rêve éveillé». Quand tout est en place, «il contourne avec la minutie d’un moine copiste chaque nuance colorée.» (2.) On ne peut pas dire que ce soit une écriture automatique, «puisqu’il y a le filtre du jugement, du goût et la recherche d’une construction en lignes de forces.»(1)

    Cette recherche explique le contraste qui caractérise l’œuvre de Daniel Selig entre les effets imaginaires, oniriques, par définition irrationnels et la rigueur de la construction, de la «manière». Daniel Selig montre que la composition d’une toile est déjà une première affirmation des qualités d’un artiste et que le dessin, comme le disait Ingres, est la probité de l’art, ce par quoi, une œuvre atteint à une clarté et à un équilibre intérieur. La légèreté et la finesse du trait aux mouvements ronds, allongés confère à ses huiles et aquarelles une élégance, une esthétique qui atténuent les effets provocateurs de ses hallucinations. Chercheur consciencieux,  il crée des couleurs tendres, soumises au thème déterminé, qu’il oppose à des teintes chatoyantes, voire violentes. La magnificence de ses gammes est d’une classe exceptionnelle.

    La profondeur de ses compositions est suggérée par le seul moyen des valeurs coloristes grâce, notamment, au passage de l’huile aux couleurs acryliques dans les années 1980. Posées au pinceau, elles sont ombrées à l’aérographe qui donne aux courbes féminines un relief tout en douceur, caressant…



            Daniel Selig 9 Daniel Selig 10
Daniel Selig 11 Daniel Selig 12
La belle et la Bête - 1984 - Huile sur toile (98x80cm)
Genèse de l'oeuvre
© F. Selig



La femme sublimée par le surréalisme


    Si, très vite, se manifestent certains signes distinctifs dans l’œuvre de Daniel Selig, et tout particulièrement la rigueur de la construction, le raffinement des couleurs et le fin graphisme qui souligne chaque tache, une autre constante, la plus significative, est le thème de la femme. Omniprésente. Obsessionnelle. La femme aux formes généreuses, sculpturale, contorsionnée, aux expressions intrigantes, déshabillée jusqu’à l’os, mais la femme sublimée par le surréalisme, libérée du libertinage teinté de misogynie et dont l’érotisme «tend à identifier la dictée du désir à celle de l’inconscient, à faire de l’amour un équivalent de la métaphore onirique qui est à l’origine de toute création.» (7). L’érotisme ne devient amour que lorsqu’il crée…C’est le cas de l’œuvre de Daniel Selig qui a sans doute applaudi au Second Faust de Goethe lorsque le chœur mystique proclame: «L’Eternel Féminin nous attire vers le Haut.»

    Nous venons de découvrir deux tempéraments proches par leur fougue, leur spontanéité, leur intense vie intérieure, leur amour de l’art. Ils se sont exprimés dans des domaines, des mondes étrangers l’un de l’autre: Alfred qui vit avec les yeux, peignait des paysages vrais mais poétisés, Daniel qui vivait par son psychisme, pour qui l’acte du tableau n’est pas de mémoire mais de fabulation. Venant de l’un ou de l’autre, l’œuvre d’art est avant tout sensation. Ils lui ont donné le meilleur d’eux-mêmes.

    Daniel Selig décède prématurément en 1990, à l’âge de 48 ans. Françoise, la belle-fille et l’épouse, veille avec amour et dévotion  sur l’œuvre du père et du fils trop tôt disparus. Elle est leur gardienne passionnée. Elle assure leur pérennité.


Daniel Selig 13Le Couple - 1989 - Huile sur toile (27x22cm) 
© F. Walgenwitz




    Daniel Selig a participé à de nombreuses expositions de groupe (41 entre 1960 et 1990), à Colmar, Strasbourg, Cannes, Nice, paris, Vienne, en Autriche, Fribourg, Lucerne, New-York…Il a organisé  six expositions personnelles, en 1965, à Deauville, à la galerie Borel, en 1969, 1973, 1974, 1978, à Colmar et en 1973 à Strasbourg    Trois rétrospectives lui ont été dédiées après son décès en 1990: en 1991 à Colmar, en 1992, à Strasbourg et en 1999, à Kaysersberg, ainsi qu’une exposition privée, en 1993, Galerie «Arts Gambetta» à Metz.



    


    Bibliographie:

-           Daniel Selig (1)– textes d’Emmanuel Honegger, de Francis Gueth, Fabienne Schweitzer et Gabriel Braeuner  - Le Verger Editeur

-       Coupures de presse – Textes de Y. Hobel, (2) de Paul S. Picard, d’Edouard Dabrowski, (3), de René Spaeth de Roger Kiehl,

-       Selig Alfred – Selig Daniel – Me François Lotz – Artistes alsaciens de jadis et naguère –Editions Printek – Kaysersberg

-       Giorgio de Chirico (4) – Hebdomeros – Collection «L’Age d’Or» - Flammarion – 1964

-       Ernst Fuchs (5) de Draeger – Préface de Marcel brion de l’Académie française – Draeger Editeur – 1977

-       La poésie surréaliste – Jean-Louis Bedouin (6) – Seghers Paris – 1964

-       Erotisme du surréalisme – R. Benayoun (7) – Jean-Jacques Pauvert – 1978

-       Dictionnaire des Symboles – J. Chevalier et A. Gheerbrant

-       Qu’est-ce que la philosophie – Gilles Deleuze et Felix Guattari – Editions de Minuit – 1991

-       Histoire de la peinture européenne – Charles Wentinck – Marabout Université – 1961

-       Saisons d’Alsace – Etapes de l’Art alsacien par Robert Heitz - 1973


Portfolio

Alfred Selig



Alfred Selig 43Alfred Selig
© TAC



Alfred Selig 47Tunisie - 1929 - Aquarelle (25x33cm)
© F. Selig



Alfred Selig 48Riquewihr - Gravure sur bois
© F. Walgenwitz




Daniel Selig

Daniel Selig 14Dans les plaines nocturnes le feu chercha l'aurore - Huile sur toile (86x116cm) - 1965
Collection particulière
© F. Walgenwitz



Daniel Selig 15Entrée libre - Huile sur toile (21.5x26.5)cm - 1965
© F. Walgenwitz




Daniel Selig 16Tryptique ouvert - Huile sur bois - 1979 - (51x67cm)
© F.Walgenwitz




Daniel Selig 17Aquarelle
© F. Walgenwitz





Daniel Selig 18 Femme aux cheveux d'or - 1982 - Huile sur toile - (33x24cm)
© F.Selig





Daniel Selig 19
Le Cri vertigineux de la Confusion des Corps - 1988 - Acrylique
- Huile sur toile (175x165cm)
-
© F. Selig




Daniel Selig 20
Daniel Selig dans son atelier en 1985
© Studio A



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