Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Luc Dornstetter


Une oeuvre ingénieuse qui appelle à la méditation.

Luc Dornstetter 1
Luc Dornstetter dans son atelier, le 22 Août 2014
Photo: F. Walgenwitz

    

    Luc Dornstetter se définit comme un peintre pythagoricien à tendance symboliste, à la croisée de l’Histoire, de l’ésotérisme, de la littérature et de la bande dessinée voire du manga, passionné par l’évolution des techniques picturales et un peu alchimiste…

    En effet, il ne se contente pas de fixer sur la toile des impressions passagères, il ne se contente pas de n’être qu’un œil. Il n’est d’ailleurs pas un peintre de plein air. Le «Sois peintre et tais-toi» n’est pas de mise. Tout au contraire, il parle, écrit, commente, tisse sa toile. Car, et c’est ce qui le distingue et fait le fondement de son œuvre, il se place dans la lignée de penseurs et d’artistes peintres qui ont jalonné l’Histoire de l’Art et qui ont été, selon lui, les acteurs essentiels, les plus marquants: Platon, Pythagore, Alberti, Piero della Francesca, Fibonacci…

    Il a relevé leur héritage, il a minutieusement étudié leurs concepts et leurs savoir-faire. Il a effectué les recherches nécessaires pour se les approprier et il les a mis au service de sa spiritualité, de sa philosophie de vie qui imprègnent qui irradient son œuvre.

 

Luc Dornstetter est né en 1948, à Rothau, dans la vallée de la Bruche dans une famille où l’art n’avait que peu de place. «Il faut attendre mes 12 ans pour qu’un déclic se fasse. Avant cela, le seul travail qu’il m’en souvienne, est la séance de dessin, à l’école primaire, où le samedi à 11 heures, nous devions clore, dans nos cahiers, les travaux de la semaine par une frise géométrique» Quand on sait l’importance que la géométrie prendra dans sa carrière…..Le choc fut de découvrir, au printemps 1960, à l’Orangerie, des élèves des arts déco qui réalisaient des aquarelles, au bord du lac, avec Camille Claus. Ce parc était, le jeudi après-midi, le lieu de promenade des internes du lycée Kléber dont il était, de 1959 à 1963… Le soir, rentré à l’internat, il prit son bloc à dessin et exécuta une petite aquarelle représentant la barque de location. «Cette œuvre, le première véritable, a longtemps décoré le poste radio de mes parents, mais elle n’existe plus» Au lycée Henri Meck, à Molsheim, qu’il fréquente de 1963 à 1966, il apprécie particulièrement son professeur de dessin, Robert Fausser, qui était ouvert aux nouvelles techniques et matériaux et qui a su éveiller en lui la passion de l’histoire de l’art

«Mais, l’essentiel de cette époque, où je dessinais et peignais déjà régulièrement de petites choses, fut la rencontre avec Jean-Paul Birghoffer, élève de Camille Hirtz, au Foyer d’Amitié Internationale de la Claquette, entre Schirmeck et Rothau. Cet ancien élève des arts déco et de Camille Claus, directeur du bureau de dessin des établissements textiles Steinhell-Dieterlin, y animait  un club de peinture où j’ai pu entrer en 1964. Il fut mon véritable premier maître grâce à qui, deux ans plus tard, je me présentais au concours d’entrée des arts déco de Strasbourg, le réussissais et entrais à l’école en septembre 1966.»

Luc Dornstetter connut l’école alors qu’elle était encore proche de l’esprit du 19ème siècle «protégée par d’invisibles fonctions isolationnistes, selon Camille Claus; la plupart des professeurs hésitant à affronter le renversement des valeurs particulières aux gènes alsaciens.» Ce n’est qu’à partir de mai 68 que les choses commencèrent à changer. Et encore…Car «après quelques semaines de vacances impromptues, l’autorité des pères et des mandarins se rétablit, l’école étant placée sous la tutelle du ministère de la Culture qui institua son art officiel.»

Dans cette période qui va de 1966 à 1970, Luc Dornstetter est surtout marqué par trois professeurs.

Antoine Gisselbrecht (1913 - 2006) «Peintre largement et malheureusement oublié» qui lui enseigne la rigueur et la clarté dans un projet, depuis son élaboration jusqu’à la fin, tant dans sa forme que dans l’organisation elle-même du travail. Luc Dornstetter ne s’en est jamais départi.

Camille Hirtz (1917-1987), «Un artisan amoureux des mille secrets de la technique, inventeur de théories sur les couleurs, de matériaux, de mélanges nouveaux» (Camille Claus), lui a justement apporté plus sur le plan technique que sur le fond des choses. «Il savait encore ce que voulait dire un enduit, un glacis, une transparence, choses qui sont, paraît-il des freins à la création…»

     Camille Claus (1920-2005) qui se préoccupe moins de science, de techniques et d’un «résultat» que de l’être et de la connaissance de soi. C’est sur le plan humain que sa formation a eu un impact sur Luc Dornstetter. «On peut dire que sa technique était rudimentaire mais son idéal d’humanisme et l’intégration totale dans la vie du peintre de la philosophie, de la littérature et pour lui de la religion ont été un exemple qui me marque encore aujourd’hui. Ce fut également lui qui, le premier, m’a sensibilisé à la composition à l’aide du nombre d’or par l’intermédiaire de l’analyse d’œuvres de Vermeer de Delft et de Juan Gris. Bien souvent, par la suite, nous nous sommes revus et la discussion reprenait sur ce thème, lui me disant qu’il ne fallait plus en tenir compte pour travailler plus librement, moi insistant sur le fait que cela me permettait de trouver des équilibres plus intéressants dans mes travaux.»

    Enfin, une réelle connivence s’est établie avec Louis Fritsch, cofondateur du Groupe de l’Oeuf. L’œuf, symbole de perfection, de pureté et de fécondité, autant d’éléments représentatifs d’un idéal. Professeur d’Histoire de l’Art, il considère Luc Dornstetter comme son meilleur élève. Et pour cause: il a toujours éprouvé un profond respect pour les Anciens. Il est immuablement friand de leurs leçons. «…références à d’anciens maîtres, le salut toujours, mais comme un remerciement pour un peu d’eau dans un désert médiatique. Merci et chapeau à vous Schöngauer et Baldung-Grien et Carpaccio et d’autres encore…»

    Par contre, entre lui et le directeur, François Cacheux, qui privilégiait ses propres conceptions de l’art, l’incompréhension était totale. «Il ne jurait que par les Grecs et la Renaissance, je n’étais attiré que par les Primitifs, les Celtes et les Irlandais. De plus, durant cette période, je pratiquais la ferronnerie et la sculpture sur métal, ce qui ne nous rapprochait guère.»



Luc Dornstetter 2L'Ange, Poignée de baptistère. Plâtre patiné - Hauteur 27 cm - 1967
© L. Dornstetter

 

    Au bout de quatre ans d’études, il obtient son diplôme avec le Prix de la Ville de Strasbourg. Quel jugement Luc Dornstetter porte-t-il sur l’enseignement qu’il reçut? Pense-t-il comme Courbet qui affirme que: «tout artiste doit être son propre maître. Je nie l’enseignement de l’art». Pense-t-il comme Kant qui dit que le génie se donne lui-même la règle? Ou est-il plutôt d’accord sur le principe exprimé par Lucien Braun, que l’on doit enseigner une certaine approche de l’art et non l’art lui-même afin de permettre à l’artiste d’instituer une loi qui serait son style c’est-à-dire sa manière propre, ce par quoi il est précisément incomparable? Indiquer les voies susceptible pour l’artiste de se trouver et parvenir précisément là où, en tant qu’artiste, il est seul?

    «Il est évident que l’arrivée à Strasbourg m’a ouvert des horizons inconnus jusqu’alors, tant au niveau des enseignements reçus à l’école, des contacts avec mes professeurs et les autres élèves que la découverte d’un milieu culturel riche: musées, expositions, concerts, opéras…

    Je suis aussi redevable à l’école de m’avoir donné un enseignement classique et plutôt traditionnel ce qui m’a donné une base forte pour appréhender la suite de mon travail.»

    Tout en s’adonnant au travail scolaire, il entame sa carrière d’artiste par deux expériences différentes. Il est très marqué par le mouvement CoBrA, dont les membres fondateurs, Dotremont, Appel, Jorn et Aleschinsky… prônent la spontanéité et cherchent leurs modèles dans les formes artistiques non encore contaminées par les normes occidentales. Ses œuvres présentent dans un premier temps, un caractère très ouvertement expressionniste. En 1966, il a 18 ans, l’âge des révoltes surtout dans cette période d’avant mai 68 où la violence fermentait de partout. C’est cette violence  qui ressortait de son travail. Entre 1966 et 1969 son expressionnisme évoluera «vers une influence très forte du mouvement «hippie» donc une peinture «joyeuse», plus gaie et colorée où femmes, fleurs et danses mènent le bal.»


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Riedisheim - Acrylique sur toile - 1967

© L. Dornstetter


 

    Puis, à l’occasion d’une exposition à l’Ancienne Douane, il découvre l’œuvre du girondin Jean Piaubert (1900-2002). Ce peintre qui a évolué vers l’abstrait, décide d’utiliser du sable mélangé à l’huile…. Il dira: «Ce n’est plus la couleur qui fait chanter la forme mais la lumière née de la matière éclairée par elle, irradiante, nourrissante.» c’est justement cette prise en compte de la matière en parité avec la forme et la couleur qui interpelle Luc Dornstetter. «Mes travaux vont vite évoluer dans ce sens. Des formes simples, souvent inspirées par la biologie, telles des cellules végétales, des mousses, des lichens, se parent de couleurs sourdes comme pour mieux faire ressortir les transparences, les opacités, le lisse et le rugueux et le fripé aussi. Le dessin, souvent réalisé par des traits de colle brûlée (qui donnaient un relief granuleux dans les brun-ocre) était posé sur des fonds très colorés à l’acrylique. Par-dessus venaient des couches de glacis, de vernis, du sable, des interpositions de papier aluminium…»

 

Luc Dornstetter 4
Paysage - Huile et cire sur papier (55 x 40 cm) - 1974
© L. Dornstetter


Luc Dornstetter 5
Femme bleue
- Acrylique sur bois (50 x 60 cm) - 1973

© L. Dornstetter


           Cette période de travaux abstraits va céder la place à un univers totalement différent, exprimé avec les mêmes techniques. «Toute une mythologie va se mettre en place à base de paysages stratifiés, de rochers, de dolmens et de menhirs où la femme deviendra rapidement l’élément essentiel. Le travail se fera soit sur panneaux de bois, soit sur papier à l’aquarelle ou à l’huile (Cependant l’huile sera abandonnée à cause du temps excessif de séchage). Le graphisme à l’encre de Chine prenant alors, dans ce cas, une importance considérable. Cette tendance va se poursuivre jusqu’en 1978.»

    Dès l’année suivante, Luc Dornstetter monte, avec Annie, son épouse, un atelier d’artisanat d’art d’abord appelé «Atelier du corbeau» puis, à l’ouverture de la boutique de Strasbourg «Soirissime». Pendant les dix années qui vont suivre il va délaisser la peinture pour la poterie et surtout la peinture sur soie. «Et ce sont les foulards, cravates, coussins et autres qui vont accaparer tout mon temps. L’aventure picturale reprendra son cours en 1989, après la fermeture de la boutique, pour ne plus s’arrêter jusqu’à ce jour.»

    Entre temps, en 1971, il est nommé professeur d’arts appliqués d’abord à Schirmeck, au collège puis au lycée professionnel, en 1984, au lycée J.-J. Rousseau à Strasbourg, enfin en 1998, au lycée A. Briand de Schlitigheim jusqu’à sa retraite en 2011, avec, à la boutonnière, les palmes académiques. Cet emploi d’enseignant lui apporte une sécurité hautement appréciée. «Ce fut un gage de liberté!»

    La décennie 1979-89 n’est pas un hiatus, tout juste une parenthèse. Elle n’a pas immobilisé Luc Dornstetter. Il est toujours en marche…Sauf qu’après 1989, il pourra poursuivre sa progression, prendre son essor sous un ciel dégagé. Devant lui s’ouvre un vaste horizon, sans entraves, sans encombre!...Ce n’est pas un pèlerin que nous voyons avancer vers un but préétabli qu’il s’agirait d’atteindre à force de faire tourner le moulin à prières…Non!...C’est un pérégrin, un homme libre. Il ne sait pas où il va…Mais il y va!... Le bourdon à la main, la besace sur le dos, attributs que nous retrouvons souvent dans ses temperas et ses aquarelles.


Luc Dornstetter 6Au promontoire - Aquarelle (41 x 41 cm) - 2012
© L. Dornstetter



    « Il est un temps pour tout. Après la méditation, vient l’instant du départ. Il est arrivé, le moment de reprendre son bâton de pérégrin et de passer à nouveau les cols qui nous feront découvrir des horizons larges.

    Et sur le bord du chemin, sur la berge, nous laissons tant de personnes qui fiévreusement attendront peut-être notre retour. Est-ce encore une illusion que ces attaches? Oui, les cheminements sont solitaires. Sur cette route, nous sommes désespérément seuls, les cols de plus en plus hauts, les fleuves de plus en plus larges…Est-ce une raison de poser la besace? L’appel de la découverte est cependant le plus fort et nous reprenons nos pinceaux pour de nouveaux voyages. Le but n’est plus de trouver l’essence même des choses. Seule compte la pérégrination.»

    Sa vie elle-même est un voyage. Voyage dans le temps, de la naissance à la mort, parmi les joies et les peines, les coups de cœur et les coups du sort, les aléas; voyage dans l’espace, vers l’autre: amitiés, rencontres providentielles, messages reçus des Anciens; voyage vers soi-même pour apprendre à se connaître et à s’accepter, pour l’artiste, dans son œuvre, du premier balbutiement à son accomplissement.

    Lors de ses incessantes pérégrinations que de rencontres indispensables à l’artiste qui se veut l’héritier de l’ancestral savoir et qui tient à revivre strate après strate l’émergence de l’art: «Héritages, transmissions, rouages constants qui dévident la chaîne tutélaire et les maillons s’entrecroisent pour mieux se dérouler.»

    Et d’abord Platon qui, dans le Timée, tout en mettant en place la méthode de toute recherche scientifique par le fameux raisonnement hypothético déductif, affirme que les nombres auxquels se réduisent les lois de la nature sont le seul élément fixe et certain dans le changement perpétuel de toute chose. C’est aux nombres et aux proportions, les triangles, qu’il a recours pour expliquer le monde et l’âme du monde. Le nombre porte partout l’ordre, la mesure et la beauté. Autre référence essentielle, Luc Dornstetter reprend les enseignements de Pythagore, pour qui tout est nombre. Les nombres étant le principe de l’harmonie universelle. Il leur donne une interprétation mystique  (10=1+2+3+4 est sacré.) Or le nombre est présent dans toute l’œuvre de Luc Dornstetter. Pythagore découvre les lois de l’harmonique, par exemple que la hauteur du son est inversement proportionnelle à la longueur de la corde. Or dans le domaine de l’art sacré, Luc Dornstetter s’est montré particulièrement sensible aux relations entre musique et arts plastiques. L’exposition de Semur en Auxois était centrée sur la musique dans la Bible.

    Dans son étude approfondie du nombre d’or, de la «divine proportion», il s’inspire de Leonardo Fibonacci, mathématicien italien du 13ème siècle (1175-1240) et de son Liber Abbaci. Sa suite, fortement liée au nombre d’or, (Le quotient de deux termes successifs en est la meilleure approximation.), est très présente dans la nature. N’oublions pas que celle-ci est géomètre! Or certaines grilles de Luc Dornstetter sont basées sur la série de Fibonacci.


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Rencontre, croquis préparatoire - Crayon sur papier (20 x 30 cm)
© L. Dornstetter


   

    Il consulte également le Divina Proportione du moine franciscain Luca Pacioli (1445-1510) qui souligne la valeur esthétique et symbolique du nombre d’or, proportion divine, parce que, selon lui, ses attributs appartiennent à Dieu. Enfin, Luc Dornstetter s’inspire directement de Léon Battista Alberti (1404-1472), sa référence absolue. Humaniste, omniscient reconnu, il fut le premier théoricien de l’art de la Renaissance. Il est subjugué par sa théorie des rapports musicaux, ses divisions musicales. En effet, selon Alberti, la beauté réside dans les rapports qui se trouvent dans l’échelle musicale. Le respect des rapports musicaux est la condition de la beauté: l’octave, la quinte, la quarte. Ses deux traités de peinture auront un grand écho chez les peintres, notamment Piero della Francesca que Luc Dornstetter admire parce qu’il exprime l’esthétique albertienne dans toute sa pureté en lui apportant ses propres méditations et parce que c’est en géomètre qu’il aborde la peinture. C’est en fonction de la géométrie qu’il voit l’application des problèmes de la perspective et de l’expression des volumes. De plus, il découvre que la distribution de la lumière est un problème de couleurs ce que nos modernes ne comprendront qu’avec Cézanne!...

            Cette prestigieuse filiation dont Luc Dornstetter se réclame et qu’il revendique haut et fort, explique la prépondérance de la géométrie dans son œuvre. «En effet, dit-il à propos de son exposition de «La cour des Boecklin» à Bischheim, en 2001, «Variations sur le carré», la géométrie est la base même de mon travail depuis de longues années et ce format, le carré, est un espace privilégié pour organiser formes et couleurs…»


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Aux bains - Aquarelle (32 x 32 cm) - 1997
© L. Dornstetter


    Pour Luc Dornstetter, chaque tableau est un problème à résoudre: celui de l’équilibre parfait. Une œuvre est terminée quand il n’y a plus rien à ajouter, plus rien à ôter. Le disque rouge qui y figure immanquablement en est la clé de voûte!...Chaque tableau est construit à partir d’une grille. La grille, le canevas, la charpente de l’œuvre d’art, c’est la métrique de sa poésie secrète. La grille se construit à partir de la suite de Fibonacci ou de la section d’or qui se trouve presque toujours à l’aide du pentagone qui la contient dans toutes ses parties. Son tracé, conçu par Albrecht Dürer d’une seule ouverture de compas, constitue un des secrets de l’art qu’on gardait jalousement dans les hétairies pythagoriciennes et les maîtrises des artisans ébénistes.

    Selon Luc Dornstetter, cette construction interne de l’œuvre, invisible, insoupçonnable, est indispensable. Il s’agit d’un savoir nécessaire pour qui veut peindre mais également nécessaire pour qui veut regarder en connaissance de cause…

    Si la géométrie est une des composantes essentielles de la beauté, elle le doit, par définition, aux nombres, au juste rapport des nombres. «Alors, pourquoi ne pas bâtir sur le 3, dit Luc Dornstetter. L’1 est triste dans sa mâle solitude, le 2 trop porteur de féminines symétries. Prenons donc le 3, symbole de la divinité et de l’humanité aussi; l’enfant est là, l’oeuvre naît…Le peintre est donc 3 et sans ordre hiérarchique car le triangle se parcourt dans tous les sens.»

    Il s’agit, pour Luc Dornstetter de «passer l’idée au tamis du nombre avec l’équerre et le compas pour ordonner le rêve, pour lui donner forme et vie, pour qu’il devienne langage. L’image brute n’a pas encore passé le seuil de la compréhension, trop d’images livrées trop tôt aux regards ne sont que balbutiements puérils; et quant à perdre un peu de flamme, nous gagnerons en sereine conversation. Le nombre est le vecteur de la langue qui nous permettra le dialogue. Le nombre est le chemin vers l’universel, vers le compréhensible pour tous. Fuir Babel!...Du néant au néant, l’homme a si peu de temps que seule la rigueur et non l’agitation peut l’aider un peu à construire ses rêves.»

    Si le nombre répond à son besoin de logique et de clarté, il n’en garde pas moins sa charge symbolique. C’est vrai pour le 3, par exemple, et pour le 7 qui soutient toute l’exposition de Saint-Jean de Saverne en 2011. « Si un nombre devait exprimer l’ensemble du travail, ce serait le 7: 7 temperas, 14 aquarelles donc 21 oeuves, 7 douleurs de la vierge, 42 bons anges et quelques mauvais…» Il est la clé de l’Apocalypse, thème que Luc Dornstetter est en train de mener à bien, magistralement.

    Cette conceptualisation, cet art de composer un tableau, est le fait d’une science mathématique subtile que Luc Dornstetter s’est donnée. « - Sans la science l’art n’existe pas - nous ont appris les bâtisseurs de rêve. Et la cathédrale s’est faite verbe, livre livré aux foules, texte fait de pierres pour une universelle compréhension.

    «Seule la science du maître d’œuvre lance l’arc impossible et le fait résister à jamais face à l’incrédule. La règle n’a jamais été un frein mais une formidable poussée, l’arc boutant soutenant l’envolée de la pierre et sans elle, le magma fût-il génial, ne reste qu’informel espoir, borborygmes solitaires et incompréhensibles. Le chef d’œuvre naît plus souvent dans la cage, derrière de bien réels ou d’invisibles barreaux que dans un monde libertaire trop porteur d’individualités vaines.»

    Luc Dornstetter en appelle à la science et à l’art, à l’image de Hermann Hesse qui, dans ses personnages Narcisse et Goldmund, réconcilie esprit et matière, spiritualité et animalité, art et science en démontrant leur complémentarité. Luc Dornstetter sait que l’homme, de par sa nature animale éprise de liberté et de plaisir, ne trouve de satisfaction complète que dans une spiritualité qui lui permettra de transcender le monde matériel et de créer quelque chose qui lui survivra. Etre encore présent quand on aura disparu. Le tableau devient le réceptacle de la transmigration de l’âme de l’artiste peintre. «Fixer, un peu d’infini sur la planche, un peu de divinité dans la matière inerte. Etre à la fois Narcisse et Goldmund, les mains dans la glaise et les yeux sur le livre, unis dans une même recherche, un même apprentissage pour ne pas se montrer trop avare quand il faudra transmettre une petite parcelle, une infime paillette à nos descendances. Ne jamais oublier la Terre qui nous supporte et nous nourrit de ses forces telluriques. L’argile dont nous sommes faits sera aussi le pigment qui nous représente.»

    La glaise, l’argile, justement!... En fait, Luc Dornstetter évoque ici les matériaux qui lui sont indispensables. Quand on sait qu’il est remonté jusqu’à Cennino Cennini, qu’il a fouillé son Libero dell Arte pour y puiser les précieux conseils du peintre et écrivain d’art italien du XVème siècle concernant ses techniques de peinture, ses pratiques d’atelier, y compris sa fabrication des pinceaux, on ne l’imagine pas s’approvisionner à l’épicerie-espace culturel du coin. En règle générale, il fabrique l’ensemble de ses produits à partir de matériaux de base, caséine et colle de peau achetés. Les pigments sont soit achetés en Allemagne, en Belgique, en France, voire en Chine pour le cinabre, l’azurite, la malachite, soit, pour les terres et les ocres, ramassés et préparés par lui-même. En parallèle, il fait des recherches et des essais pour retrouver des recettes anciennes: encre métallo-gallique, colle de parchemin…ses colles pour aquarelles sont fabriquées à partir de gommes végétales ce cerisier, de mirabellier, de prunier!...


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© L. Dornstetter



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L'atelier de Luc Dornstetter
© L. Dornstetter


    C’est le moment de pénétrer dans son atelier. «Un lieu privilégié surtout. L’atelier, espace de recherche, d’attente et enfin de réalisation.» Rien à voir avec l’aimable désordre des artistes bohèmes ou le capharnaüm de certaines officines. Luc Dornstetter se dit volontiers chimiste, voire alchimiste, et pourtant, point de cornues ni de serpentins et encore moins de toiles d’araignées…mais, des fioles, des bocaux, soigneusement étiquetés, au garde à vous, en rangs serrés sur leurs estrades…La rigueur ne règne pas seulement sur l’œuvre mais aussi sur sa gestation. C’est là que le peintre «fabrique». C’est là que l’artiste devient artisan « titre de gloire dûment revendiqué, souvenir d’un âge d’or.» c’est là que naissent les temperas, que «de la planche naîtra le tableau. L’aventure, l’exploration serait plus juste, commence.»

    Elle commence par l’encollage à la colle de caséine. Elle se poursuit par le marouflage d’une toile de lin. «Maroufler, coller une toile de lin sur le bois pour éviter toutes fentes. Le bois est si fort et pourtant si sensible, toujours prêt à s’ouvrir.» Après trois couches de colle à la caséine, il faut poncer. Et puis, appliquer quatre à six couches d’enduit blanc à la colle de peau de lapin mélangée à un pigment blanc (lithopone, titane, plâtre fin qu’il a appris à fabriquer lui-même). Enfin, re-ponçage…, pour «Trouver un grain prometteur qui accrochera le rayon vivifiant…» Curieuse cuisine, héritage des fresquistes égyptiens, des peintres d’icônes byzantines. «Et renaissante qui de bois en lin, de caséine en ammoniaque, deviendra le réceptacle d’images et de sens que l’outil-main engendrera.»



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Les étapes de la préparation d'une planche
(Bois brut, encollage à la caséine, Marouflage d'une toile de lin, découpage et ponçage de la toile, pose de l'enduit blanc à la colle de peau de lapin.)
© L. Dornstetter



    A partir de cet instant l’artiste rejoint l’artisan. «L’erreur fut d’abandonner un titre au profit de l’autre. Il suffit d’additionner: artisan ET artiste; le OU serait fatal à la peinture même.» Ensemble donc ils mettent en place la composition d’après les croquis de préparation. Ils réalisent la peinture avec une première couche très colorée composée de pigments purs puis mettent en place des nuances à l’aide de glacis, délicate superposition de couches de peinture transparente qui augmentent l’effet de profondeur du motif et des couleurs. Contenant plus de liant que de pigments, le glacis crée un mélange optique avec la couche précédente. Procédé connu dès l’Antiquité, présent à Pompéi et repris par les Flamands. En fin de travail après un très rapide séchage et …une attente de plusieurs mois de durcissement, c’est la pose des vernis. Pas moins de cinq couches dont la première au blanc d’œuf et les deux dernières de vernis mat à la cire d’abeille.

    Mais nous n’avons vu là que la surface des choses. Sous cet impressionnant déploiement d’ingéniosité, il y a le tableau, l’image que Luc Dornstetter veut faire l’égale du mot et du son!... «L’image née d’un regard en constant éveil sur le monde… Le tableau, espace de création, est un récit de voyages vers des horizons féeriques. Le but est de relater…» Susciter de futures évasions, celles du spectateur qui devient le centre de l’œuvre. Luc Dornstetter l’invite à regarder (surtout ne pas «voir»: impressions trop fugitives), mais «regarder» fixement, s’arrêter, ne jamais passer sur les choses, les détailler, comprendre…

    Pour être compris, «il faut faire léger, effacer le superflu, parler peu mais clair dans l’espoir d’être entendu, ne retenir qu’une once de poudre d’or pour illuminer son œuvre, abandonner le fatras, le non-fini, le dégoulinant qui n’est qu’impuissances inavouées.» L’image doit être épurée. D’où, la rigueur, l’ascétisme même s’il est nécessaire, «la main pour outil, la géométrie comme médium. Difficile passage, naissance à risque où tout peut, à chaque instant, déraper pour finir dans le tiède, le déjà dit, l’inutile.» Le tableau, dit Luc Dornstetter est pareil à un chemin de croix. En effet, que d’obstacles à franchir!...

    Le tableau est donc un message à délivrer. «Couche après couche, strate après strate, l’alchimiste enfantera d’une image qu’Alberti déclarait digne de la rhétorique.» Luc Dornstetter, lui, va plus loin, il la veut égale à la dialectique. «Eternel jeu de questions – réponses entre un opérant et un regardant, spéculations infinies, allers – retours incessants et prometteurs de richesses vitales.» Il doit être un vecteur, pas un simple objet de pure délectation. L’œuvre doit donner à penser

    Le peintre est créateur, interprète, révélateur. Révélateur de quoi? De sa vie intérieure avant tout. Or celle de Luc Dornstetter est d’une richesse insondable, nourrie de méditation, d’expérience, de confrontations, éclairée par la pensée des philosophes et des sages de l’humanité qu’il a fréquentés. D’où son aveu: «de toute façon, tout n’est qu’autoportrait avec ou sans visage, jeu de cache-cache entre le peintre et son spectateur, entre le peintre et lui-même.»

    Luc Dornstetter, peintre porteur de son monde, a imaginé un émissaire qui lancerait son message au hasard des rencontres espérées. C’est l’ange!...Inséparable de sa conscience. Si souvent évoqué. «L’ange vole à présent portant l’aquarelle, portant la tempéra vers d’hypothétiques rencontres.» L’ange, porteur de l’idée, doit être un ange neutre. «La transparence de l’ange est garante du propos à venir. Et l’idée enfin délivrée frappe l’autre, germe dans l’autre. La main du maître est l’ange qui modèlera, puis portera la parole; la main doit être neutre et fidèle…»

    L’ange, dans l’acception traditionnelle du mot: être spirituel , créé par Dieu et soumis à lui, est très présent dans l’œuvre de Luc Dornstetter du fait qu’il ne s’est jamais tenu éloigné de l’art sacré. «Il y a déjà eu de nombreuses œuvres dans ce domaine, dit-il à propos de l’exposition de 2011, «Chemins d’Art sacré» à l’église Saint-Jean de Saverne, et les annonciations sont comme un fil rouge dans mon évolution, sorte d’image emblématique du monde de la communication universelle dans laquelle nous sommes tous immergés.» L’ange est posté à l’entrée de l’Eden perdu, il se dresse au-dessus du Buisson Ardent, les archanges Michel, vainqueur du Dragon et Gabriel, messager et initiateur, sont à l’honneur. Bientôt apparaîtront les anges redoutables de l’Apocalypse en préparation dans son atelier…


Luc Dornstetter 12
Michel et le démon - Aquarelle (90x60cm) - 2011
© L. Dornstetter



    L’univers que Luc Dornstetter nous fait découvrir oscille entre ésotérisme et symbolisme. Nombreux sont les symboles qui laissent le spectateur découvrir seul le jeu des concordances. Ainsi le chat qui n’est autre que l’artiste lui-même. «C’est celui qui regarde, qui sait, mais heureusement, qui ne dit pas tout.» Il nous tourne le dos, nous cache son visage comme d’ailleurs tous les personnages, acteurs toujours anonymes. «Car ils doivent représenter l’humanité en général et non des êtres en particulier. Ce qu’ils font est plus important que ce qu’ils sont en tant qu’individu. Leur visage ne ferait que capter notre attention au point de nous faire oublier tout ce qui les entoure ainsi que leurs relations à ce monde.»

    Autre étrangeté qui intrigue le spectateur, à la fois symbole et effet de style: la chevelure extravagante de ses personnages. Elle en assure l’anonymat. Mais pas seulement: «Souvent, mais pas systématiquement, les personnages à chevelure sont des personnages féminins, signe de sensualité dans les œuvres anciennes. Elles sont souvent ébouriffées signe d’effroi ou de mouvement. C’est à la fois le ruisseau nourricier (chevelure/eau) mais aussi source de danger (cheveux/tentacules).

    C’est également un élément graphique intéressant à intégrer dans mes compositions en parallèle aux pointillés, apportant une variété de traitement.»

 

 

    Ce qui compte, en somme, c’est le paysage, le chemin… «De faire-valoir, le paysage acquiert toute sa primauté. D’arrière-plan, il s’approche, s’impose peu à peu et finit par envahir le panneau. Le personnage, toujours en quête, se fait plus discret, s’efface pour que cette fois-ci nous nous concentrions sur l’autour. Il a couru, sauté, cascadé médité et en définitive beaucoup regardé. Il nous entraîne donc de déserts et de dunes en montagnes, de fleuves en rochers et falaises pour enfin arriver en des palais imaginaires. Où, sur des terrasses surplombantes, il s’immerge à présent en des panoramiques qui s’affirment quand il finit lui-même par disparaître.»

    Cependant, dans l’Apocalypse annoncée, le personnage, sous les traits solennels et formidables du cavalier et de l’ange, s’imposera à nouveau!...




Luc Dornstetter 13
Face à face - Aquarelle (41x41cm) - 2012
© L. Dornstetter



    Si la contemplation de «la parure des formes et des couleurs» de toutes les pièces doit apporter joie et contentement au spectateur et s’adresser ainsi à son cœur, elles ne sont abouties que si elles apportent en prime, mais de façon indispensable, un rayon de lumière à son esprit. «Toute œuvre s’appréhende dans l’instant pour ensuite, enrichir notre monde intérieur, apportant méditations et réflexions et c’est là qu’elles trouvent leur accomplissement et leur plénitude»

    Ayant proclamé ce bel et exigeant credo, «le peintre s’en retourne à sa table, à son travail solitaire en rêvant à d’impossibles quadratures…»




Luc Dornstetter 14
Méditation 2 - Tempera sur bois (35x27cm)
© L. Dornstetter



    Distinctions

1970 - Diplôme et prix de la Ville de Strasbourg

2002 - Chevalier des Palmes académiques

2008/2011 - Président de l’AIDA

 

Principales expositions personnelles

1991 – Galerie Aktuaryus à Strasbourg puis 1994 1997, 200

1996 – Galerie Condillac à Bordeaux

2000 – Galerie Schèmes à Lille puis plusieurs expos de groupe

2001 – Galerie Say à Paris puis expos de groupe

2002 – Maison d’art – AIDA à Strasbourg puis 2004, 2006, 2008, 2010, 2012

2011 – Chemins d’art sacré, St Jean Saverne

2013 – Collégiale de Semur en Auxois (Bourgogne)

 

Principales expositions de groupe

 

2010 – Historisches Museum Hanau, 30 Jahre, 30Künstler

2010 – Schiltigheim mairie. Camille Claus, ses amis, ses élèves

2012 – Pforzheim. Atelier d’Anita Gröger

2012 – Galerie Art’course à Strasbourg. Images pieuses

2014 – Haguenau. Espace St-Martin. Artendem I

2014 – Sélestat. Eglise St-Georges Via Crucis

2014 – Landau Städtische Galerie Villa Streccius. Artendem I et II


   

Portfolio


Luc Dornstetter 5Nature morte – Collage - tissus (38 x 26 cm) - 1966
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 16La toile – Acrylique et huile sur bois (50 x 100 cm) - 1970
© L. Dornstetter





Luc Dornstetter 17

Balder – Gouache sur papier (24 x 32 cm) - 1974
© L. Dornstetter





Luc Dornstetter 18

Temple solaire – Huile sur papier (38 x 44 cm) - 1976
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 19
Temple égyptien – Aquarelle (65 x 50 cm) - 1989
© L. Dornstetter





Luc Dornstetter 20

Cinq sens – Aquarelle (65 x 50 cm) - 1990
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 21 Paysage " Cimetière irlandais" – Tempera sur bois (24 x 41 cm) - 2000
© L. Dornstetter



Luc Dornstetter 22
Terzo dramma – Tempera sur bois (81 x 60 cm) - 1994
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 23
Procession – Aquarelle (56 x 56 cm) - 2002
© L. Dornstetter



Luc Dornstetter 24

Recueillement – Aquarelle (30 x 30 cm) - 2004
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 25

Adam et Eve – Aquarelle (90 x 60 cm) - 2011
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 26

Les anges musiciens – Détail, encre de chine - 2011
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 27

Le bon larron – Aquarelle (65 x 65 cm) - 2011
© L. Dornstetter




Luc Dornstetter 28
Valse - Tempera sur bois (38 x 55 cm) - 2011
© L. Dornstetter



Luc Dornstetter 29
Retable - Tempera sur bois - 2012
© L. Dornstetter

Panneau de gauche: Le départ, Adam et Eve (34x89,5 cm)

Panneau central: L’énigme (55x89 cm)

Panneau de droite: La chute (34x89 cm)

Prédelle: La ville (21x89 cm)

Les formats sont construits sur la suite de Fibonacci: 21-34-55-89




Luc Dornstetter 30

L'apocalypse est en marche...
© F. Walgenwitz



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