Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Martine Laforce


Les plus belles "valeurs" de l'aquarelle...


Martine Laforce 5
© E. Dabrowski

    

    

    «L’impression de pouvoir conter une histoire par le biais de mes aquarelles, de la partager avec d’autres, s’est très vite imposée à moi: on entre dans le sujet représenté, on s’y promène, on y projette son propre vécu, son propre passé, on se laisse transporter dans ses propres souvenirs…réminiscence, pouvoir évocateur des choses…

    J’espère qu’on en ressort avec des «traces» de la poésie et de la rêverie que j’ai pu y mettre.»

 

Votre vœu, Martine Laforce, est exaucé!...

 

Lilloise d’origine, Martine Laforce n’est pas née exactement à l’ombre du beffroi, mais dans une banlieue encore éminemment urbaine. Elle y a accompli toutes ses études. «Toute jeune déjà attirée par les activités manuelles, tant par le dessin que par le travail en volume qui constituaient l’essentiel de mes loisirs, je sais très rapidement que je travaillerai plus tard dans un domaine artistique. Lequel? Vers 10 ou 11 ans, on n’en a pas encore la moindre idée…

Au fur et à mesure de mon cursus scolaire, je regretterai que les activités Arts Plastiques disposent de si peu d’heures en collège ou lycée. Même en s’inscrivant aux options, on arrivait péniblement à 2 heures par semaine. J’ai cependant bien comblé cette frustration pendant mes études supérieures: graphisme, dessin industriel, décoration, maquettisme…»

En effet, après avoir passé un bac littéraire, elle entreprend des études artistiques et obtient un diplôme de décoratrice délivré par la Chambre de Commerce de Roubaix-Tourcoing ce qui lui ouvre la porte des métiers de la décoration. Elle opte pour celui de maquettiste – graphiste dans le séduisant domaine de la bijouterie.

    En 1979, dans sa vingt-deuxième année, elle et sa famille proche délaissent la brique rouge du Nord pour les colombages alsaciens. L’Alsace est une destination choisie, voulue, «une région qui nous tient à cœur». Martine, elle-même, apprécie sa richesse, son opulence et, plus profondément, sa double culture qui signe son identité, son patrimoine préservé, cadre ancien resté intact en plusieurs endroits, région historique, au passé tourmenté bien lisible.

    Son besoin inné de «décrire un ressenti» s’est manifesté à elle de façon irrépressible. «N’ayant pas le talent d’écrire, au lieu de vous «tricoter» cela avec des mots j’ai choisi de le faire par la peinture… Passion, sacerdoce, je ne sais pas…En tout cas, nécessité de peindre!... Et puis, ajoute-t-elle, on existe davantage quand on crée!» Son adage aurait pu être: «Je suis ce que je fais»



Martine Laforce 6Ponton vénitien, (37 x 38.5 cm)
© E. Dabrowski


    

    

    Parmi les multiples facettes qu’offre l’Alsace traditionnelle, elle aurait certes pu se consacrer aux quartiers pittoresques de Colmar, sa ville d’adoption, aux villages qui jalonnent la Route des Vins, aux châteaux et manoirs qui dominent la plaine, aux paysages romantiques du Ried ou encore aux majestueuses forêts vosgiennes. En fait, c’est l’architecture rurale traditionnelle qui retiendra toute son attention. Sa curiosité, son instinct fouineur, la poussent à entrer dans les villages par les chemins détournés, à pénétrer dans les arrière-cours, par effraction en quelque sorte…

    Elle est convaincue qu’il est primordial de donner à voir et de mettre en valeur les colombages alsaciens des corps de fermes, des modestes maisons d’ouvriers agricoles, des granges et des dépendances plus frustes encore. Elle va tenter de restituer «au plus fidèle, au plus chargé d’émotion» ces murs typiques constitués d’une ossature de poutres et d’un remplissage de torchis, mélange d’argile et de paille armé d’un treillage dense de branchages entrelacés, ces pans de bois chevillés, ces contreventements, ces entrais, ces poinçons, ces croix de St André, éléments indispensables d’une structure archaïque souvent complexe qui a défié le temps et qui, abandonnée, trahie par l’homme, se désarticule, se désagrège avant de s’écrouler. Ses tableaux sont l’expression d’une nostalgie «le moindre colombage, le moindre fragment de torchis a un parfum d’autrefois». Elle est le témoin qui immortalise les vestiges, qui sensibilise au gâchis, qui stigmatise l’acculturation. Elle veut conjurer la marche inéluctable vers l’uniformisation, préserver, combat d’arrière-garde, la personnalité de l’Alsace, terre d’Histoire, de traditions, de culture, qui tend à disparaître sous la dictature des normes.


 Martine laforce 7

La cabane de jardin - (54 x 42 cm)

© E. Dabrowski



    

    

    Une photo, des repères de couleurs lui permettent de déterminer sa palette composée essentiellement de terre de Sienne naturelle et brûlée, bleu de cobalt, bleu de phtalocyanine, vert de vessie…en privilégiant autant que possible les pigments naturels qui se font de plus en plus rares. Une palette sobre aux couleurs retenues. «Notre palette, c’est nous!»

 

    Martine Laforce préfère les couleurs sourdes aux couleurs éclatantes. Concernant la photographie, sa préférence va au noir et blanc, procédé qui confère aux ombres et à la lumière un rôle primordial. C’est effectivement le langage le mieux à même de traduire une atmosphère comme l’a si bien prouvé Alex Schwobthaler (1914-2004), photographe de presse, «aquarelliste de la pellicule qui savait mettre en scène la lumière mieux que quiconque, en captant les meilleurs éclairages» Ce rapprochement que fait Roland Fischer entre le noir et blanc de la photo et l’aquarelle, Martine Laforce y souscrit quand elle dit: «Une œuvre en valeurs seules peut-être aussi prégnante que celle en couleurs si ce n’est plus. Voyez pour exemple la photo noir et blanc et la densité de son expressivité.»

 

Martine Laforce 8L'atelier de l'Aquarelliste
© F. Walgenwitz


   

    Contrairement aux impressionnistes qui ont peu tenu compte des valeurs et qui ont prétendu n’obtenir la lumière que par la division du ton, Martine Laforce, aquarelliste, ne se satisfait que des valeurs qui sont la combinaison des masses claires, des masses sombres et des demi-tons, abstraction faite de toute coloration trop vive. Plus que la vibration des tons, c’est le jeu des clairs et des foncés qui donne naissance à la lumière, à l’exemple de Corot, «Esprit sincère, simplificateur par essence qui eut le sentiment naturel des valeurs en toutes choses».(*)

    L’observation fine alliée aux impressions ressenties conduit naturellement Martine Laforce à traduire en valeurs plutôt qu’en couleurs la représentation de nos demeures traditionnelles. Les subtiles nuances de valeurs qu’elle crée, rendent ses aquarelles «assez évocatrices pour qu’on ait, selon son souhait, l’impression de sentir l’odeur du vieux bois, de ressentir la fraîcheur d’une pierre séculaire réchauffée par un rayon de soleil.» Les patines qu’elle obtient par de patientes recherches sont d’une richesse infinie. Elles révèlent, sous la loupe, des tableaux quasiment abstraits.

 

            Pourquoi l’aquarelle?

    «L’activité d’aquarelliste, adoptée après une dizaine d’années d’activités diverses, me fait dépasser le stade du dessin à la plume, du fusain, du dessin technique, pour me faire découvrir le monde de la couleur bien que celle-ci demeure chez moi toute en retenue.» Martine apprécie le «côté intimiste de cette technique. Et aussi sa dualité: on jongle sans arrêt entre deux extrêmes: le clair et l’obscur, le plein et le vide, la fusion dans l’humide et le sec. Tout se répond et atteint un équilibre fragile. C’est à ce moment-là qu’une aquarelle est réussie et qu’il faut savoir s’arrêter.»

    L’aquarelle permet la transparence, elle fait la part belle au graphisme, au dessin. A cet égard, Martine a fait le choix du trait incisif, prépondérant, qui accentue le sujet «lui confère un caractère tenace qui s’impose à vous avec force. Là, alors, plus question de filigrane, d’évanescence, mais la volonté de graver dans la rétine une image qui se fera récurrente, obsédante presque…»

    L’aquarelle permet une grande économie de moyens: peu de pigments suffisent pour obtenir une belle palette de nuances. Mais, et c’est là toute la difficulté de cette technique, elle supporte mal les retouches. Si repentir il doit y avoir, il faut le faire dans l’instant. Contrairement aux autres techniques, l’aquarelle se pose! Le hasard y a son importance et elle doit garder ce côté spontané «Il y a toujours un moment juste pour accomplir une action en aquarelle. Il faut tenir compte de tant d’impératifs: le papier, l’eau, le temps de séchage, la couleur qui devient mate et s’éclaircit en séchant… Enfin, la technique de l’aquarelle offre une immédiateté qui répond bien au désir de rendre l’impression fugitive que l’on peut avoir d’un lieu.»

    Les lieux qu’elle évoque sont volontairement anonymes. Elle tient à laisser au spectateur la liberté de s’approprier le sujet. Il est sollicité pour y apposer sa propre histoire. L’intention de Martine est de proposer un hommage tout simple à un passé proche. Elle veut raviver en nous la vie oubliée des vieilles pierres qui ont une âme et qui sont porteuses de présence humaine, en filigrane, à travers une foule d’indices. Un détail, tel que la paille amassée à l’étage de la grange, le volet dégondé, le cadenas, le vélo adossé au mur, trahissent la vie. «Le but n’est pas l’anecdote», mais la force de l’émotion, le pouvoir de suggestion.

    La fonction documentaire de l’œuvre de Martine Laforce est indéniable. Elle a été impulsée dans les aquarelles, véritable travail d’historien, qu’elle fit pour le compte de la Maison rurale de l’Outre-Forêt de Kutzenhausen, centre d’interprétation du patrimoine, lieu vivant de découverte du patrimoine alsacien, de ses arts et traditions populaires. Cette fonction est renforcée par la «virginité» de l’arrière-plan, ce fond de «néant» qui rappelle l’illustration, autre domaine de prédilection de l’artiste

    Martine Laforce a participé à de nombreuses expositions et engrangé plusieurs grands prix. A ce propos, elle nous confie: «Un parcours somme toute assez logique m’amène à participer à des expositions de groupe, d’abord en faisant partie d’associations, puis en exposant en trio avec deux amis aquarellistes, sous le nom d’Aquaréelle. Les premiers salons donnent lieu à des remises de prix. Le premier prix reçu sera sans doute le plus marquant en tant que tel, mais la plus grande émotion demeure celle où, pour la première fois, une personne tombe suffisamment sous le charme de votre travail pour «casser la tirelire» et acquérir une de vos œuvres: on se sent acceptée, comprise, accueillie par le public…Ses aquarelles ont trouvé leur place dans des collections particulières en Allemagne, Angleterre, Canada Suisse, Luxembourg, Italie…

    A présent, j’ai acquis la certitude qu’il ne faut pas attacher tant d’importance aux concours: si cela aide au début, du moins moralement, la création telle que je la comprends ne doit pas avoir comme principal objectif de concourir, de se mettre en concurrence avec d’autres. A nous d’être foncièrement nous-mêmes, de rester honnêtes vis-à-vis de notre travail et de trouver le public qu’on mérite. Après, la rencontre se fait ou ne se fait pas: c’est une toute autre histoire.»


Martine Laforce 9Les petits univers: nature morte (12 x 12 cm)
© E. Dabrowski


Martine Laforce 10
Parentèle (62 x 46 cm)
© E. Dabrowski



    Et pour que cette rencontre se poursuive, Martine Laforce a su s’évader du thème récurrent du colombage. Elle a exploré «l’esthétique du rebut» dans d’étonnantes et émouvantes natures mortes, elle a visité les cimetières de bateaux et en a rapporté des images qui suscitent la compassion. A Venise, elle s’est départie de la rigidité du trait incisif, impératif, dans la fluidité, la fantaisie des reflets de l’eau, ce qui lui a permis de flirter avec l’abstraction. Enfin, autre dérivatif: l’acrylique, partie la plus ténue de son œuvre, certes, mais qui propose des exercices de style inédits où l’esthétique, les rythmes, sont dirigés par les noirs profonds qui mettent en valeur les couleurs.


Martine Laforce 11
Palais Vénitien - Acrylique (92 x 75 cm)
© E. Dabrowski



    Car Martine Laforce n’est pas figée dans son art. Elle est passionnée, elle aime les défis. En parlant de la difficulté de l’aquarelle, elle dit: «Cette sensation d’être sur le fil, cette prise de risque est exaltante» Si un trait de caractère apparaît dans sa façon de peindre, c’est sans aucun doute sa méticulosité. Mais, c’est aussi et surtout la recherche d’une autre dimension que la prouesse technique: être sans cesse sur le chemin transcendant de la création.




Crédit photographique: Edouard DABROWSKI


   

Portfolio


Martine Laforce 12Abandon – (46 x 35 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 13Première neige – (61 x 45 cm)
© E. Dabrowski





Martine Laforce 14

Ambiance hivernale – (34 x 30 cm)
© E. Dabrowski





Martine Laforce 15

Caquetage – (60 x 45 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 16
Colombages d'antan – (78 x 57 cm)
© E. Dabrowski





Martine Laforce 17

La maison bleue – (61 x 45 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 18 Le poulailler – (58 x 45 cm)
© E. Dabrowski



Martine Laforce 19
Les cadenas – (34 x 25 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 20
Reflet de Collégiale – (78 x 57 cm)
© E. Dabrowski


Martine Laforce 21

Poulies et cordage – (32 x 24 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 22

Retour de pêche – (71 x 37 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 23

Au loin, San Giorgio – (65 x 39 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 24

Grille Antique – (46 x 35 cm)
© E. Dabrowski




Martine Laforce 25

Ponte Moro – (46 x 35 cm)
© E. Dabrowski



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